Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/10

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à la Virgen d’Avila qu’il fût mon débiteur de dix fois plus.

Les rires reprirent de plus belle.

Pierre de Chazelet, amusé par ce dialogue surpris au vol, descendit les quelques degrés qui le séparaient encore du sol de la salle commune.

À sa vue, la demi-douzaine d’arrieros, rassemblés autour de la table graisseuse, devinrent subitement graves.

Olinda se précipita au-devant de son hôte.

— Vous sortez, señor hidalgo ?

— Oui, dame Olinda, j’ai l’intention de faire une longue promenade dans la montagne.

— Par San Ligarête, qui, les jambes coupées, marchait encore !… Voilà une idée, car le Grados est beau à voir.

Tous se retournèrent vers Perez, lequel entrait ainsi dans la conversation.

Le muletier, un robuste gaillard au regard futé, continua :

— Je me mets en route dans cinq petites minutes. Mes mules sont à vide (sans charge), et si le señor voulait honorer l’une d’elles de sa clientèle, je le conduirais au Paso de Castille, d’où l’on jouit d’une des plus belles vues de l’Espagne.

Les assistants se regardèrent. On eût cru que leurs yeux échangeaient des lueurs satisfaites, mais peut-être n’était-ce là qu’une idée.

Le marquis, lui, répondit sans fausse honte par le dicton espagnol :

— Le rico hombre (homme riche) peut disposer de quatre pieds, le pauvre doit se contenter de deux.

— Le señor ne m’a pas compris, s’écria vivement le muletier. Je passe en Castille pour y prendre un chargement… Que le señor accepte ou non mon offre, je dois parcourir le chemin. S’il lui plaît de ne pas repousser l’amabilité d’un arriero, continua Perez avec cette emphase un peu théâtrale particulière aux citoyens espagnols, même les plus modestes, l’une de mes mules est à vous.

Et comme Pierre hésitait, craignant de froisser son obligeant interlocuteur, celui-ci acheva, clignant de la paupière d’un air malin :

— Je conçois, le señor est fier ; il lui coûte de ne pouvoir répondre à une gracieuseté par une autre. Eh ! qu’à cela ne tienne ! Tous les jours ne sont point vides de piécettes. Si la pluie d’argent tombe dans sa