Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il eut un geste rageur, et d’un ton plus impérieux :

— Je te dis que voici ta fille Lilian. Je veux que tu me croies.

Les traits convulsés de la démente s’apaisèrent sous les regards de son interlocuteur. Une morne indifférence succéda à son agitation.

— Celle-ci est ta fille, répéta Jemkins pour la troisième fois.

Alors, d’une voix sourde, comme lointaine, la veuve murmura :

— Oui, oui, celle-ci est ma fille Lilian.

— Mère, supplia Linérès dans un sanglot.

— Ne la presseras-tu pas dans tes bras, continua le milliardaire, ne lui donneras-tu pas le baiser maternel dont si longtemps elle fut sevrée ?

Docilement la démente ouvrit ses bras, et paisiblement :

— Je lui tends les bras ; je lui donnerai le baiser qu’elle réclame.

Ah ! ce ton monocorde, sans vibration, qui paraissait émis par une créature absente, était bien loin de ce cri de joie délirante que Linérès avait attendu depuis son départ de France.

Au lieu de cette apothéose de tendresse, que rencontrait-elle ?

La froide soumission d’une insensée aux ordres de son gardien habituel.

Elle-même en fut comme paralysée. Ce fut avec réserve qu’elle enlaça la veuve, avec désespoir qu’elle sentit s’appuyer sur son front les lèvres indifférentes de la malheureuse femme.

Et Frey murmurant sous forme d’encouragement :

— Elle a tant souffert. Peu à peu, gentille cousine, votre présence réchauffera la pauvre âme engourdie.

Elle gémit si bas que l’Américain ne perçut qu’un vague bourdonnement :

— Une mère ne doit pas se tromper… Ah ! si je n’étais pas sa fille !

Et, chancelante, elle se laissa entraîner hors de la pièce par son fiancé.

Tandis que Frey guidait les jeunes gens vers ces tristesses, les passagers du bateau de Baltimore avaient achevé de débarquer sur le quai de la Septième Rue.

Voitures, commissionnaires, s’en étaient allés pour revenir lors de l’arrivée d’un autre navire.