Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/30

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Comme il songeait, un chant parvint à ses oreilles.

C’était un de ces canzones de bergers, lents et doux, comme rythmés sur le mouvement paisible des troupeaux au pâturage.

La voix féminine évidemment, sonnait forte et juste, avec cette ignorance charmeuse des règles de l’art musical, particulière aux chants de plein air.

Involontairement, le marquis pensa à la Lourença, la gardeuse de chèvres, dont la posadera lui avait parlé.

Mais du même coup sa rêverie se dissipa.

Il était venu pour voir la châtelaine des ruines… Une personne évidemment à son service se trouvait tout près de lui… Il fallait l’interroger…

D’un pas ferme, le jeune homme franchit le portail, parvint dans la cour. Il distingua de suite quatre ou cinq chèvres qui, à son apparition, cessèrent de brouter et le considérèrent de leurs grands yeux d’or.

La chanteuse était assise sur une pierre, dans un angle.

Une fille robuste, au teint brun, à la tignasse noire emmêlée, vêtue d’une chemise de toile grossière, laissant voir le cou et les bras, et d’un jupon de couleur passée, indescriptible jupon court, d’où s’échappaient des jambes nerveuses, nues, terminées par des pieds espagnols, toujours petits, que couvraient des alpargates (espadrilles) blanches.

Sous les frisons rebelles, les yeux brillants de la paysanne se fixèrent sur l’étranger, avec ce mélange de défiance et de curiosité habituel aux gens de la campagne.

Il s’approche en souriant.

— Vous êtes la Lourença, dit-il pour apprivoiser la sauvage créature.

— Qui vous l’a dit ? fait-elle entre ses dents.

— Qui ? Mais la señora Olinda, de la posada del Cid, de l’autre côté de Béjar.

Les traits de la chevrière se détendent un peu. Le nom d’une personne connue met toujours le campagnard en confiance.

— C’est une bonne femme, Olinda… ; à la dernière fête, elle m’a donné un ruban.

— Oui, une bonne femme, vous dites bien. Comme j’avais désir de voir le château de Armencita, elle m’a chargé de vous apporter ses bonnes paroles (locution de Béjar), ainsi qu’à vos dignes maîtresses, la comtesse de Armencita et la señorita Linérès.