Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/29

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À Béjar, il les avait quittés.

Puis traversant la petite ville jadis fortifiée, dont les remparts croulants enserrent aujourd’hui des fabriques de toiles de chanvre et de lin, il avait franchi le ruisseau Cuerpo de Hombre sur le joli pont de la Magdalena, s’était engagé dans la sente muletière du port de Bânos, et, obliquant à gauche, il était descendu par de raides lacets dans la vallée de Armencita.

Il allait bon train, délivré maintenant de l’obsession du mystère qui lui était restée de son entrevue avec la bohémienne Ramrah.

Elle s’était trompée la diseuse de bonne aventure, en lui affirmant qu’à Paris seulement, il rencontrerait la señorita Linérès.

Il allait voir la jeune fille, en ce jour même, dans son vieux castel.

Et cet unique point démontré faux, toutes les prédictions de la gitana s’écroulaient, devenaient non plus un phénomène psychique troublant, mais une simple et adroite supercherie.

Il y avait bien encore la question du portrait à élucider. Seulement le mot « supercherie » est si élastique ; il prend des proportions tellement étendues dans l’esprit de qui l’applique, que Pierre avait tout naturellement formulé cet avis :

— Le miroir magique, une jonglerie de plus.

Et cela lui avait suffi.

Donc, devant le portail du castel ruiné, il s’arrêta, considérant avec une mélancolie respectueuse les pierres descellées, branlantes, qui conservaient néanmoins quelque chose de riche et d’éclatant.

Nos ruines du Nord sont grises, sombres ; elles semblent avoir revêtu le deuil des splendeurs disparues. Là-bas, sous le ciel ibérique, telles restent lumineuses. Chez nous, ce sont des astres éteints ; en Espagne, elles sont des fragments de soleils brisés, mais ces fragments rayonnent encore.

Dès longtemps, le pont-levis qui, en se relevant, fermait le portail, avait disparu. Des fossés comblés il ne restait plus trace.

Et au delà du vestibule, Chazelet apercevait une vaste cour, ancienne cour d’honneur sans doute, transformée en prairie d’herbes folles et encadrée de bâtiments dont les toitures, les planchers, s’étaient effondrés et dont les fenêtres n’encadraient plus que des pans du ciel.