Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/35

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rêvait-elle ? Quel découragement traçait, au coin de ses lèvres, le pli des tristesses ? Quels espoirs maintenaient en ses yeux l’audace du rire ?

Et brusquement, Pierre eut une exclamation étouffée, se pencha, glissa sa main dans l’un des tiroirs et la ramena à lui.

Entre les doigts, il tenait un petit carnet à la couverture bleue. Sur cette couverture, une ligne d’une écriture décidée :

« Linérès de Armencita ».

Il tremblait. Ces trois mots furent sûrement tracés par celle dont la plaque magique de la gitana lui révéla l’image.

Que-contenait le petit carnet ?

Rien de bien intéressant selon l’apparence, puisqu’il avait été oublié à l’heure du départ.

Cette pensée que Pierre formula pour lui-même, était-elle bien sincère ? Ne cherchait-il pas à s’encourager à tourner la feuille de couverture, à plonger son regard curieux dans les pages où la jeune fille avait dû écrire ?

Écrire quoi ? Des détails infimes de sa vie : comptes de dépenses ou autres. Documents négligeables, diront les esprits légers ou indifférents ! Erreur ! Pour l’observateur, rien n’est petit, rien n’est à dédaigner. Et il a raison. Les conséquences sont souvent disproportionnées avec les faits qui les produisent.

Un bain froid amène le partage et l’écroulement de l’empire d’Alexandre.

Un coup de sifflet lancé au passage de Néron est l’origine de l’incendie de Rome.

Chazelet soulève la couverture, tourne quelques feuillets au hasard. Son regard se fixe enfin sur l’une des dernières pages, et son cœur battant à grands coups, il lit ces phrases troublantes :

« Non, décidément, ma mère ne m’aime pas. Qu’ai-je fait ? Pourquoi m’a-t-elle écarté de son cœur ? »

Cette plainte, qu’une âme douloureuse a confiée au papier, pénètre avec une acuité déchirante dans l’âme du jeune homme.

Ah ! les lèvres mélancoliques du portrait, vous venez de parler. Vous avez murmuré votre secret à l’oreille de Chazelet.