Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/373

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ment travailler avec vous, à faire la lumière, quelque danger que puisse présenter l’aventure.

— Alors, laissez-vous conduire.

— Pardon ! Pardon ! rechercher la vérité est une chose ; accepter une fortune en est une autre. Je tiens à honneur de faire la première ; mon honneur me défend de souscrire à la seconde.

— Votre honneur…

— Il est chatouilleux, cher monsieur Frey Jemkins. Dans les pays neufs comme l’Amérique, on pense que la fin justifie les moyens ; le vieil honneur traditionnaliste d’Europe estime, au contraire, que les moyens doivent justifier la fin. Donc, je suis prêt à jouer ma vie pour arriver à la vérité ; et je suis prêt à la donner plutôt que de recevoir une fortune à laquelle les droits de miss Linérès me paraissent contestables.

C’en était trop. Dans un tourbillonnement d’idées, Jemkins entrevit son œuvre détruite. Un brouillard passa devant ses yeux. Il hurla :

— Vous pensez que l’on se joue ainsi de moi. Erreur ! Vous m’avez connu bienveillant. Mais l’ingratitude est trop grande ! Prenez garde de vous heurter à une volonté qui ne sait pas plier.

Froidement, Chazelet répondit :

— Oh ! toute menace est superflue. Ne vous ai-je pas affirmé que j’offrais ma vie pour refuser une fortune que je ne sens pas mienne ?

— Offrez-vous aussi la vie de cette jeune fille ?

La question tomba brutale, soulignée par le geste menaçant pointé vers Linérès. Mais plus prompte que Chazelet, angoissé par le danger soudainement révélé, celle-ci prononça :

— Dans les ruines d’Armencita, j’ai appris à être brave. J’offre ma vie pour ce que je crois être l’honneur.

— Eh bien ! mais… on pourrait l’accepter…

Sifflante, aiguë, plus terrible mille fois que les éclats de la voix du milliardaire, la phrase jaillit des lèvres roses de Rouge-Fleur.

Cela était sinistre et déconcertant. Cela disait la volonté impitoyable… C’était la cruauté atavique de l’Asie jetant sa menace dans ce conseil de blancs.

Mais El Dieblo se dressa ; un éclat de rire aigrelet fusa de ses lèvres, faisant grimacer les lignes bleues de sa peinture rituelle de sorcier.

— La vie, ricana-t-il d’une voix acide, douloureuse aux oreilles, le Grand Esprit seul la donne ou la reprend… Eh ! Eh ! Eh ! les hommes rouges comptent