Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/435

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Depuis la veille, le jeune homme vivait dans un songe exquis et douloureux.

Il avait reconquis Linérès. Maintenant il la pourrait épouser. La fiancée du Diable, incessamment séparée de lui, serait la petite marquise qu’il avait pensé vingt fois perdre à jamais.

Et cette certitude, considérée naguère par lui comme le summum des félicités, ne lui apportait point le bonheur complet.

C’est que, depuis son entrée dans le souterrain Aztec, il avait appris la lutte géante d’Allan contre la bande de Jemkins. Il avait su l’idylle tragique de Lilian, sous le couteau des misérables acharnés à sa perte. Et cette jeune fille, ce loyal et vaillant Jud, ces deux êtres qui l’avaient sauvé, qui lui avaient rendu Linérès, il les voyait condamnés à la douleur.

Soudain, Pierre ressentit une commotion.

Jud venait de se mêler au groupe. Sans qu’on l’entendît venir, il avait quitté la « chambre », dans laquelle Jemkins et lui s’étaient rencontrés, et tout à coup il avait paru au milieu des auditeurs de Suzan.

— Suzan, fit-il d’un ton abaissé, prends avec toi ce brave Tril et aussi Top et Fall. Que Storm et Zinka te suivent. Ils serviront de courriers. Allez surveiller l’hacienda. Je veux savoir tout ce qui s’y produira.

Alors, Allan eut un soupir et fit mine de retourner dans sa retraite.

— Mon fils ! gémit Marahi.

Il la regarda. Il vint à elle, l’enlaça et la baisa doucement au front en murmurant :

— Pauvre mère !

Mais Mme  Pariset, en quelque sorte poussée par les regards suppliants de Lilian, s’était avancée, tendant les bras, disant avec une inflexion caressante, où l’on sentait la reconnaissance éperdue de la malheureuse femme pour le sauveur de la jeune fille :

— Vous êtes aussi mon fils.

Les traits de Jud se contractèrent affreusement, sa bouche s’ouvrit, crispée, annonçant la protestation véhémente, puis un frisson sembla courir sur sa peau, trahissant l’effort violent, et il desserra son étreinte, s’enfuit, disparut dans l’ombre, dans la direction de l’alvéole, où ce torturé d’aujourd’hui emprisonnait sa surhumaine souffrance.

L’arrivée de Rouge-Fleur et de Porfirio Raëz que, selon son engagement, Frey Jemkins, de retour à l’hacienda de Agua Frida, avait remis aux Indiens