Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/44

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Le péril est né de la fortune ; voilà tout ce que j’ai pu apprendre.

Étrangeté nouvelle au milieu des choses étranges qui s’abattaient sur son existence, Pierre en arrivait à converser avec le señor Selenitès, comme avec un camarade. Tout au fond de lui-même, il devait s’avouer que le bandit lui devenait absolument sympathique. Ah ! si jusque-là sa vie s’était déroulée un peu plate, un peu terne, il se rattrapait joliment.

Depuis deux jours, il vivait un conte de fées. Tout ce qui lui advenait, révélait un caractère anormal, bizarre, inaccoutumé.

Mais il n’était pas au bout de ses surprises.

Son interlocuteur prononça lentement :

— Il importe de la secourir vite.

— S’il ne dépendait que de moi, s’écria le jeune homme.

— Que ferais-tu ?

— Je partirais dès demain.

— Qui t’en empêche ?

— Eh ! mon brave Seigneur de nuit, vous ne l’avez pas oublié. Je suis sans argent et j’attends celui que l’on m’a promis de France.

— Il est aisé de lever l’obstacle.

— Ah ! vous trouvez ?

— Mais oui, explique l’homme masqué. Tu attends dix mille francs, n’est-ce pas… je vais te les avancer…

— Me les avancer, vous ?

De Chazelet fut pris de fou rire.

Les limites de l’originalité étaient dépassées par ce voleur de grands chemins qui, non seulement ne le dépouillait pas, mais encore lui offrait un prêt d’argent. Sans doute, Selenitès perçut vaguement le sens de l’hilarité de son interlocuteur, car il dit tranquillement :

— Cela ne devrait pas te surprendre. Je sais que ma créance sera fidèlement remboursée.

— Oh ! sans nul doute… Ce sont les voies et moyens qui ne m’apparaissent pas très clairement.

— Nous allons nous en occuper. Je te remets dix mille francs ; au change c’est dix mille huit cents pesetas[1], car je ne veux pas te faire tort d’un centimo.

Le marquis salua en homme appréciant la délicatesse du procédé.

  1. Cours comparatif de la monnaie à cette époque.