Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/442

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au cœur des résonances lugubres de leurs pas sur le dallage.

Un cri étranglé s’échappe de toutes les lèvres.

Chazelet a poussé la haute porte, dans la baie de laquelle s’encadre un tableau qui semble enfanté par une imagination délirante de justicier.

Une vaste table fait le tour de la salle, bordée de chaque côté de convives. Voici Frey Jemkins entouré de ses lieutenants : Jetty, Tom, Elisalt, Todero, Zirini… puis toute la troupe de peones, vaqueros, pulqueros, etc.

On s’attend à les entendre hurler, chanter, rugir… Attente vaine… Aucun bruit. Nulle voix avinée ne traverse le silence angoissant.

Et puis, quelle immobilité terrifiante !

Celui-ci est renversé en arrière sur son siège, la face distendue par un rire immobile. Sa bouche demeure ouverte, ses muscles contractés, dans une gaieté que la mort a pétrifiée de sa main de glace.

Son voisin, le coude sur la table, élève son verre à hauteur de sa bouche… Sa soif s’est éteinte à jamais. Jamais il ne boira ce vin doré qu’irise la flamme des bougies.

D’autres offrent des faces angoissées… Ont-ils eu conscience de quitter la vie ? Mystère. Mais tous sont morts, morts en dégustant les boissons évidemment empoisonnées par Jemkins.

Frey, lui, est assis carrément, le buste droit, la tête rejetée en arrière. Un sourire mystérieux séjourne sur ses traits. Il savait la fin toute proche, lui qui l’avait préparée. Il a soigné son attitude. On sent que sa dernière pensée a été une ironie pour ceux qui gisent autour de lui.

Il est mort dans une hécatombe. Comme ces souverains fastueux de l’antique Asie, qui entraînaient sur leurs bûchers géants leurs femmes, leurs serviteurs, Jemkins a voulu que tous les siens quittassent la terre en même temps que lui. Et son geste figé, son ricanement disent sa satisfaction du dernier sacrifice réussi.

Et plus pâle que les morts, en une allure spectrale, Lilian va vers le chef de bandits qui, si longtemps, a exploité les deux mondes.

— Ta dernière pensée fut bonne, murmure-t-elle. Jemkins, meurtrier de mon père, bourreau de maman, de moi-même, je te pardonne.

— À la bonne heure ! s’écrièrent des voix rieuses, maintenant nous aurons un roi et une reine.