Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/55

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— Arrive donc. Je veux que, demain matin, tout Paris nous ait signalés ensemble. Un ami qui ne vous lâche pas dans la ruine, cela entraîne du bon côté toutes les amitiés hésitantes. Je joue les terre-neuves, animaux aux affections robustes et aux pattes palmées… Et encore aussi entêtés que les mules castillanes. Il ne te reste d’autre ressource que d’obéir. Tu me jettes à la porte demain, si cela t’agrée ; mais ce soir, tu te laisseras tyranniser.

Pierre ne demandait pas mieux.

Sous les phrases légères du jeune major, il sentait l’amitié solide. Il comprenait que Morand lui avait préparé la rentrée triomphante, au lieu du retour morose de l’isolé que la fortune a frappé.

Une poignée de main énergique dit à l’ami qu’il avait été compris. Cinq minutes plus tard, Pierre, installé dans une chambre gaie et claire, procédait à sa toilette, avec cette joie intime de l’homme sevré quelque temps du confort.

Soudain Morand, qui regardait distraitement par la fenêtre, poussa un cri.

— Je suis absurde, le plaisir de te revoir. J’oublie le plus important.

Et tirant son portefeuille :

— Quand j’ai reçu ton télégramme, je venais de toucher le reliquat de ta vente. Dix mille deux cent vingt et un francs, soixante-dix centimes. Les voici.

Pierre fut sur le point de s’écrier que déjà il avait touché la somme. Mais il se souvint à temps de la recommandation du seigneur de la nuit :

— Pas un allié ! Pas un confident !

Et il se borna à remercier Albert, tout en glissant les billets dans sa poche.

— Sept heures, allons dîner.

Sur cette proposition de Morand, tous deux descendirent. Le dîner, commandé à l’avance par le major, avait cette ordonnance simple, légère et savoureuse qui rend le repas parisien inimitable, parce qu’il procède à la fois d’un art délicat et d’une hygiène stomacale parfaite.

Le monde entier se nourrit, les vingt mille Parisiens de race sont seuls à savoir manger.

Vraiment, le médecin militaire, montrait là son expérience de la vie. Les menues satisfactions matérielles influent sur les dispositions morales, et cela est d’autant plus vrai que l’être est plus affiné, plus intellectuel.