Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/8

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« P.-S. — À propos, je viens d’être promu major… ; j’en ai profité pour déménager. Écris-moi, désormais, 64, boulevard de Port-Royal, tout à côté du Val-de-Grâce, mon office de travail. Tibi. F. M. »

— Brave Morand, murmura le jeune homme… Une amitié fidèle, dont je ne suivrai d’ailleurs pas le conseil…

Et, avec un geste sec :

— Rentrer à Paris, subir la pitié fastueuse d’anciens compagnons de fête. Non, non, petit marquis de Chazelet, tu as mauvaise tête ; tu ne saurais faire cela.

Il demeura un instant pensif, puis, résolument :

— J’ai dévoré, comme disent les bonnes gens, une fortune ; je me dois d’en réédifier une autre. Dix mille francs c’est peu, mais courage, volonté et Amérique, c’est beaucoup. Je suis désormais un chercheur de dollars… et comme mes ancêtres pourraient, dans un monde meilleur, juger piteuse une enseigne ainsi conçue : Marquis Pierre de Chazelet, chercheur de dollars, je cesserai d’être marquis, je deviendrai Chazelet tout court, un joli nom plébéien. Mais dans les jours d’ennui, de rancœurs, de tristesse, je me souviendrai de notre devise guerrière, et je murmurerai pour moi seul : Chazelet, chasse-les !

Il se leva brusquement, remit la lettre de Morand sous son enveloppe qu’il glissa dans sa poche, puis, gaiement :

— Chasse-les de suite, petit marquis. Tu es assuré du lendemain immédiat. Une longue promenade dans la montagne rétablira l’équilibre de tes esprits.

Et, ramenant le sourire sur ses lèvres, il se dirigea vers la porte…

Celle-ci s’ouvrait sur un couloir étroit, lequel, dix pas plus loin, se coudait à angle droit et se raccordait à un escalier aux marches hautes et raides, accédant en pleine salle commune de la posada.

Des voix, rudes, gutturales, sonnaient en bas. Un instant, le marquis écouta, puis, hochant la tête :

— Des arrieros (muletiers), fit-il. Ils sont peut-être plus heureux que moi.

Il eut un mouvement d’épaules impatient.

— Oh ! pas de lamento, ami Pierre. Ce genre de musique n’est acceptable que sur violoncelle. Il est bon pour les oisifs, mais toi qui vas devenir un businessman, un Américain agissant, tu dois rythmer