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L’AÉROPLANE-FANTÔME

Une parcelle de cette pauvre propriété échappe à la culture. Il existe là une large bande de terrain, où picorent quelques poules qui saluent de caquets rageurs les lourds ébats de deux porcs en bas âge.

Ceux-ci, du reste, n’en ont cure. Aux cris des volatiles, ils ripostent par ces renaclements harmonieux, représentant la musique vocale chez l’espèce porcine.

Une voiture fourragère montre son châssis en équilibre sur l’essieu de ses deux roues, équilibre rendu stable par des tréteaux servant de béquilles aux brancards.

Mais quelle bizarre toilette a subi ce chariot ! Ses côtés, ses hottes d’avant et d’arrière, ajourés à l’ordinaire, sont renforcés de planches, dont les interstices sont bouchés par des lambeaux d’étoffes. Une bâche, raidie par un copieux goudronnage, figure le toit de l’étrange habitation.

Car c’est là une de ces nombreuses habitations roulantes adoptées par les Polonais, conquis mais non gagnés, pour échapper aux cruelles lois fiscales édictées par l’Allemagne contre les possesseurs d’immeubles en province de Posen, dans le but de contraindre à l’émigration les Polonais épris de leur langue, de leurs traditions, résistant sans cesse à l’assimilation germanique.

Mais les victimes, ces Français du Nord, ont riposté à la brutalité par l’esprit.

Les lois sur les immeubles ont été frappées d’impuissance par ce fait que les agriculteurs de race polonaise ont détruit leurs fermes de pierre ou de bois, et ont établi leur demeure dans des charrettes, lesquelles étant meubles par définition, se rient des exigences fiscales.

À l’avant du véhicule-maison, deux planches se déplacent. C’est la porte de l’habitation, dont la tristesse, la pauvreté, l’inconfort, attestent la vitalité incoercible d’une race qui ne veut pas mourir.

Deux hommes se laissent glisser sur le sol. Ils portent la vieille tenue des paysans de Pologne : la blouse lâche, le bonnet au fond incliné sur l’oreille, le pantalon bouffant serré aux genoux, à la façon des braies gauloises. Ils vont lentement à travers les cultures, gagnant le bord du petit lac, dont la rive limite l’enclos.

Sur l’eau stagnante, à la surface couverte des larges feuilles de plantes aquatiques, flotte un batelet vermoulu que retient à la rive une chaîne rouillée.

L’un des personnages prend place dans l’embarcation, assure les avirons