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tion de « manière de cour », les deux incarnations de Maître Jacques seront charmées de vous écouter, qu’il s’agisse d’informations ou de conseils.

Un instant plus tard, nous étions assis dans le salon.

Un canapé court, campé de guingois dans un angle, nous assurait un isolement suffisant.

Et la regardant assise, avec je ne sais quoi de las dans l’attitude, ses mains croisées, s’abandonnant sur ses genoux, elle m’apparut comme une statue de la détresse.

Certains êtres sont marqués dès leur naissance. Ils portent par avance les stigmates de ce qui sera la dominante de leur existence.

La Tanagra était évidemment vouée à la souffrance.

Sa robe noire, très simple, mais de suprême élégance, sa redingote de velours, tout accentuait le côté douloureux de la femme.

S’aperçut-elle que je l’observais. Perçut-elle la pitié inconsciente, informulée même vis-à-vis de moi.

Elle sembla me remercier du regard. Après quoi :

— Monsieur le correspondant du Times… la maladie de M. de Kœleritz vous montre que certain document n’est pas revenu entre les mains de ses légitimes propriétaires.

— Je l’ai pensé. Sir Lewis Markham me l’a donné à entendre.

— Bien. Avez-vous également remarqué que, dans les jardins de l’Armeria, M. le comte de Holsbein fut découvert étendu devant une petite porte s’ouvrant sur les resserres du Musée ?

Je n’étais plus à m’étonner d’entendre expliquer les choses qui m’échappaient. La marquise, du reste, depuis l’aventure de la Chambre Rouge, m’apparaissait devoir être parfaitement renseignée.

Aussi, sans me perdre en questions oiseuses, auxquelles du reste, elle n’aurait vraisemblablement pas répondu, je dis tranquillement :

— Non, ceci n’avait pas attiré mon attention.

— C’est un tort. Car ceci prouve que, après vous avoir abattu, le comte est revenu sur ses pas, qu’il allait sans doute rentrer dans le musée, au moment où il a été renversé à son tour.

Elle marqua un temps et conclut :

— Donc, les papiers importants sont encore dans leur cachette, et cette cachette se trouve entre le Puits du Maure et les murailles de l’Armeria.

Je sursautai.

— En ce cas, facile à découvrir.

Elle secoua la tête.

— La maladie de M. de Kœleritz doit vous démontrer le contraire. Quand on immobilise ses ennemis, c’est que l’on craint leurs actions. Si le document avait été découvert, il eût été inutile de recourir à des moyens aussi compliqués que la fièvre et le délire.

Et comme j’inclinais la tête d’un air absolument convaincu, elle acheva :

— Voici pour le correspondant du Times, pour compléter sa documentation… Ah ! j’ajoute ceci… M. de Holsbein voulait vous tuer, celui qui l’a frappé ne voulait que l’étourdir ; vous comprenez pourquoi vos blessures n’ont pas présenté la même gravité.

Et doucement :

— Voilà qui est fait. Vous ferez le récit sensationnel que je veux que vous fassiez au Times, sans lacunes d’aucune sorte.

— Il en reste une, murmurai-je.

— Dites, je la comblerai, s’il est possible.

— La « cause » de la maladie du délégué M. de Kœleritz ?

Elle dit en démasquant ses dents blanches, dont la fine nacre s’irisait sous les rayons tombant des lustres :

— Une sorte de haschich ; un composé d’extrait de chanvre et d’autres végétaux.

— Merci.

— Maintenant, je vais passer aux conseils.

L’Ami ; — derechef, elle appuya sur ce mot. — L’ami me permettra-t-il de tout dire ?

— Tout, répliquai-je sans hésiter.