— Même si mes paroles égratignent son cœur ?
Sous mon regard étonné, elle expliqua :
— Oh ! ne croyez pas à une indiscrétion banale. Dites-vous que la souffrance que cause l’amitié, n’est jamais que le réflexe de la souffrance ressentie par cette amitié.
Je crois bien qu’à toute autre personne, j’aurais déclaré n’avoir point besoin de conseils. De façon générale, j’ai horreur de cette manière équivoque de nous contrarier et de blâmer notre conduite.
Mais dans l’accent de la « Tanagra », il y avait quelque chose d’impressionnant que je ne saurais définir. Je sentais si évidemment qu’en face de moi se tenait une âme exempte de banalité, supérieure de cent coudées à l’âme problématique de la moyenne des foules, que je prononçai avec une bonne foi absolue :
— De vous, j’entendrai tout avec reconnaissance.
Elle eut un geste brusque, sa main se leva jusqu’à ses yeux, qu’elle voila une seconde.
Quand elle la retira, il me sembla que ses prunelles si claires s’étaient troublées… On eût cru une légère buée sur un miroir.
Mais sa voix sonna ferme :
— D’abord, ne vous jetez plus dans des expéditions où vos fonctions ne vous appellent pas… Vous avez été blessé une première fois…
— Bah ! je n’y pense plus.
— Il faut y penser… Vous auriez pu mourir…
La sympathie pour moi vibrait, indéfinissable, dans l’accent dont elle prononça cette dernière phrase.
C’était le reproche d’une sœur au frère imprudent. Et comme j’étais sûr moralement que mon interlocutrice ne jouait là aucune comédie sentimentale, je me demandai, je m’en souviens, comment j’avais pu mériter l’émoi fraternel que je sentais m’envelopper.
L’impression fut fugitive. La marquise reprenait :
— Après vous avoir plaint, je dois vous gronder, et l’appel à votre raison aura peut-être plus d’action sur vous que l’appel à votre prudence. En agissant sans ordres, vous risquez de compromettre l’existence des autres. Qui sait si l’insuccès d’une affaire scrupuleusement préparée, ne provient pas de votre intervention.
L’idée m’en était déjà venue.
Je l’avais chassée, comme l’on chasse une mouche importune.
Car certaines idées sont agaçantes, à l’égal de la bestiole ailée qui bourdonne, entêtée, autour de votre nez, avec la volonté évidente de transformer cet appendice olfactif en canapé de repos.
Seulement, exprimé par la « Tanagra », la « mouche » vainquit toutes mes résistances d’amour-propre.
Je courbai la tête.
La marquise reprit vivement :
— Ne soyez pas dur pour vous. Vous ignoriez. Vous avez agi en bon Anglais et en courageux gentleman. Le blâme ne saurait aller à qui a su s’imposer un devoir dangereux.
Ma confusion augmentait. Je savais bien avoir obéi surtout à ma satanée curiosité professionnelle.
— Une erreur, continua-t-elle doucement, et sa voix me berça délicieusement, une erreur n’est point une faute. Vous avez compris que la « bonne intention » n’est point toujours le chemin de « l’utile action ».
J’arrive au point délicat de mes conseils.
La jeune femme ou jeune fille — je ne sais auquel m’arrêter, car la singulière Tanagra semblait enfermer une âme d’expérience, de douleurs séculaires dans un corps de vingt ans à peine… Enfin, la marquise eut une aspiration profonde.
On eût cru qu’en ce point de notre entretien, la respiration lui manquait.
Je voulus l’encourager, lui répéter que d’elle, phénomène échappant à tout raisonnement, j’écouterais sans peine ce que je n’entendrais patiemment de nulle autre.