Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/106

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Par bonheur, la nature en sa sagesse infinie cache à l’homme les deuils futurs, ceux du passé suffisant à lui infliger toute la douleur qu’il peut supporter.

Et involontairement, ils abrégèrent le dernier adieu de Napoléon.

Celui-ci les vit ; devinant à leur attitude qu’un événement sérieux justifiait leur présence en ce lieu, il posa le roi de Rome sur le tapis, serra tendrement la main de Marie-Louise, et vint aux deux visiteurs en repoussant la porte derrière lui.

Excuses, explications… Vidal exprima le tout en quelques phrases brèves. Napoléon, chassant de son esprit les tristesses du moment, l’écouta attentivement. Puis d’une voix nette, précise :

— Vous avez raison, il faut savoir quel intérêt ont les princes alliés au mariage de Mlle  de Rochegaule. Vidal, tu partiras aussitôt après que j’aurai confié l’Impératrice et son fils aux officiers de la garde nationale. Qu’ils les défendent, que, quoi qu’il arrive, ils empêchent ces êtres chers de tomber aux mains de l’ennemi.

Mais dominant l’attendrissement qui se faisait jour dans ces dernières paroles, l’Empereur poursuivit :

— Je quitte Paris demain matin. Je serai le soir à Châlons, je prendrai le lendemain Saint-Dizier, où les alliés s’installent. Tu m’y retrouveras. Va. Je garde mon jeune ami Espérat.

Et resté seul avec le gamin :

— Écoute, Espérat. Tu es courageux, intelligent, adroit. Je veux te charger d’une mission.

— Oh merci, s’exclama Milhuitcent avec feu, Sire, je vous remercie.

Comme Vidal tout à l’heure, Napoléon passa sa main sur les cheveux de l’enfant :

— Que n’ai-je cent mille petits amis comme toi. Je serais assuré de triompher.

Il eut un mouvement de tête volontaire :

— On doit vaincre avec les ressources que l’on possède, grommela-t-il comme s’il se gourmandait…

Puis baissant la voix :

— Écoute. Tu connais bien les environs de Saint-Dizier.

— Oui, Sire, pas un sentier que je n’aie parcouru, pas un massif d’arbres que je n’aie exploré.

— Bien. Alors l’endroit que l’on nomme La Croix des Cosaques… ?

— Tout le pays sait que cette croix lut élevée à la mémoire de deux habitants de la ville tués par les Autrichiens en 1792.