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CHAPITRE XII

Un pope, un ivrogne, un espion, un fanatique de napoléon, quatuor en une personne.


Sur le coup de deux heures après-midi, la petite porte sale et disjointe de l’auberge du Dragon vainqueur livra passage à un homme à la face bourgeonnée, à la longue barbe d’un roux éteint, personnage puissant de partout, fait de proéminences assemblées, résolvant le difficile problème de la quadrature du cercle en se montrant à la fois rond et carré.

Une fois sur la route qui conduit de Saint-Dizier à Vitry-le-François, l’homme s’arc-bouta sur ses jambes, avec une difficulté évidente à assurer son équilibre. Ses yeux clignotants se fixèrent un instant sur l’enseigne qui avait donné son appellation à l’auberge. Il parut admirer la feuille de zinc, se balançant en drapeau le long d’une tige de fer et ornée d’un barbouillage demi déteint, où l’observateur attentif discernait confusément un dragon, sabre au poing, lardant en un geste héroïque un brouillard de teinte neutre qui, sans doute figurait l’ennemi.

— Ça, fit le bonhomme, ça, c’est un soldat.

Et d’un air attendri, avec une émotion qui en disait long sur ses habitudes bachiques :

— Ces dragons sont nés coiffés… bien coiffés, les gaillards, d’un casque aussi vaste qu’un seau… Avec un instrument pareil, on doit dédaigner les verres… un casque c’est bien plus commode pour boire beaucoup à la fois.

Ce disant il retira le bonnet haut qui recouvrait son crâne et le tenant devant lui, il reprit piteusement :

— Moi, je n’ai qu’une mitre grecque, la mitre d’un pauvre pope de Russie. C’est de la soie, ça laisse filtrer le liquide. Y mettre du vin serait sacrilège, cela ne peut servir que pour l’eau.

Et avec une grimace :