Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/12

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Si l’on ne tergiverse pas, les armées coalisées de l’Europe seront ici avant un mois.

— Ici ? balbutia l’enfant devenu pâle.

— Quant à l’usurpateur, il sera abattu.

Espérat serra les poings :

— L’usurpateur… c’est l’Empereur que les royalistes appellent comme cela.

Il fit un pas vers la petite porte vitrée qui conduisait à la draperie, mais il se ravisa :

— Non, je ne puis pas avouer que j’écoutais… cela n’est pas propre.

Puis comme à regret :

— Va faire un bout de promenade, Espérat ; tu reviendras chercher ton raisiné quand ces gens auront fini de causer de leurs affaires.

Sa main s’étendit menaçante vers la draperie :

— Ces gueux de royalistes… ils ont de la chance que je sois un honnête garçon.

Délibérément il marcha vers l’entrée s’ouvrant sur la place. Déjà il avait la main sur le loquet, quand une pensée lui vint :

— Ces gens-là complotent contre l’Empereur.

Ses doigts lâchèrent le loquet.

— Il y a peut-être un danger pour Lui… Mon devoir, à moi, son sujet, est de le défendre… Si je m’en vais, je le trahis.

L’adolescent hésita une seconde, puis avec un geste violent :

— C’est pour Lui… je reste.

Bien décidé cette fois, Espérat se rapprocha de la porte vitrée du magasin de draperie, et, l’oreille tendue, suivit la conversation de ceux qu’il épiait.

— Donc, résumons-nous, reprit le personnage qui répondait au titre de vicomte. Écoutez-moi bien, Buzaguet, les minutes sont précieuses, et il importe de répéter textuellement mes paroles.

— Oui, monsieur le vicomte, psalmodia le négociant.

— Oui, monsieur le vicomte, gronda avec un accent intraduisible Espérat Milhuitcent.

— Primo, poursuivit l’inconnu, le Tugendbund…

— Association secrète de tous les intelligents d’Europe, ennemis de la tyrannie de Napoléon, prononça très vite l’épicier du ton d’un écolier qui récite une leçon.

Un ricanement ponctua sa phrase :

— C’est cela même, digne Buzaguet. Cette association, qui s’est for-