Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/134

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pour repousser l’invasion, usurpe le plus noble des sacrifices, Monsieur le comte…

— Après avoir usurpé le trône, l’avoir ravi au souverain légitime.

— Je ne connais point ce souverain, dit lentement Marc avec un calme dédaigneux.

— Pourtant le Roi…

— Le Roi, je ne l’ai jamais vu à la tête des soldats qui allaient mourir pour la France.

— Parce que Napoléon, gronda le gentilhomme…

— Parce que l’Empereur était avec ceux-ci, tandis que celui qui s’intitule Roi, marchait, marche encore à cette heure à l’ombre des drapeaux étrangers ; cette ombre lui laissera toujours une marque au visage.

— Mon père… M. Vidal… interrompit Lucile d’une voix gémissante.

Le capitaine passa la main sur son front, et redevenant calme, par un puissant effort de volonté.

— Pardonnez-moi, Monsieur le comte… Mon général est absent, et seul ici je pouvais le défendre.

M. de Rochegaule regardait sa fille ; ses traits s’adoucirent peu à peu.

— Vous n’avez point à vous excuser, capitaine. Je suis seul coupable ; les vieillards manquent parfois de mémoire, j’ai oublié que vous étiez mon hôte.

Il y avait une telle noblesse dans ces paroles du vieux royaliste, que Marc s’inclina profondément. Les deux hommes étaient dignes de se comprendre.

— Parlez donc sans crainte, sans réticences, poursuivit le comte. Du moment où vous avez franchi le seuil de cette maison, vous pouvez tout dire…, je puis tout entendre.

Et les yeux de Lucile se fixant sur ceux de l’officier semblaient répéter :

— Parlez, parlez.

Vidal obéit :

— Monsieur le comte, ce matin j’étais à Paris, triste, découragé… vous saurez pourquoi tout à l’heure… l’Emper…

Il s’arrêta et doucement :

— Mon général me permit de le précéder sur la route de Saint-Dizier. À l’instant de mon départ, il me fit appeler et me dit avec cette bonté souveraine qui force le dévouement. — Pars, Vidal, rapporte au comte de Rochegaule ce que j’exprime… Tu es brave, loyal… Depuis que tu respires, tu ne vis que pour la France. Le comte, lui, malgré son attachement à ses princes, n’a pas voulu combattre son pays natal. Il ha-