Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/135

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bite son domaine, il me boude, à moi, l’Empereur ;… mais il ne poursuit pas sa patrie de la haine qui aveugle tant d’autres gentilshommes.

M. de Rochegaule écoutait sans un geste, sans qu’un tressaillement de son visage sévère trahît la moindre émotion. Vidal reprit :

— Va, capitaine. Dis-lui que nous allons entamer la dernière campagne, que mon règne est fini… car, même vainqueur, je suis résolu à rentrer dans l’obscurité. Alors tu n’auras plus ton empereur, et lui n’ayant plus son roi,… peut-être le fossé qui vous sépare sera-t-il comblé ?

Lentement la tête du gentilhomme s’inclina sur sa poitrine, comme pour cacher un brouillard humide dont ses yeux étaient obscurcis.

— Et je suis venu, continua Vidal, vous faire entendre les paroles de mon général, et j’ajoute d’innombrables victimes ont été fauchées par la lutte fratricide, que les dernières tombent en combattant pour la défense de la patrie envahie… ne sacrifiez pas celle qui est la lumière de cette demeure, la consolation de votre vieillesse.

Lucile rougit. M. de Rochegaule releva brusquement la tête et d’un ton glacial.

— Que prétendez-vous exprimer ainsi ?

Mais le capitaine était lancé maintenant. Il voulait exposer toute sa pensée, dévoiler le but de son voyage, et de même que s’il était monté à l’assaut d’une citadelle, il s’écria :

— Ne livrez point la fille des Rochegaule à Enrik Bilmsen, même à la requête du roi.

Le vieillard se dressa sur ses pieds :

— De quel droit venez-vous me dicter ma conduite ?

— Je n’ai aucun droit, Monsieur le comte, aucun. Mais Dieu, en sa bonté souveraine a jeté en moi un rayon de lumière il m’a montré une fleur éclose au haut d’un roc escarpé, il m’a dit : Aime-la … et j’aime, Monsieur le comte.

— Quoi. En la présence de ma fille, vous osez, gronda le vieillard…

Mais la douce voix de Lucile s’éleva :

— Je le savais, père.

Il y eut un lourd silence. M. de Rochegaule regardait les jeunes gens courbés devant lui. Rien dans leur attitude ne décelait autre chose qu’un respect implorant. Pourtant il reprit durement :

— Ainsi, Lucile, toi, l’enfant de mon cœur, tu me trahissais.

— Oh ! père.

Mlle  de Rochegaule s’inclina et tremblante balbutia :

— Ma vie vous appartient, père… Je renoncerai au rêve de bonheur