Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/172

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Non, un soldat n’eût pas parlé ainsi, et Milhuitcent dit :

— Habitant du pays.

— Avance à l’ordre.

Dans la direction du son, l’adolescent fit quelques pas. Des formes sombres surgirent des broussailles. Espérat reconnut des soldats russes.

Ceux-ci lui appuyèrent leurs baïonnettes sur la poitrine, mais le cœur du vaillant enfant n’était pas accessible à la peur, il railla :

— Les Cosaques apprennent donc le français maintenant ?

L’organe impérieux, qui s’était fait entendre tout à l’heure, prononça des paroles incompréhensibles, sans doute en dialecte moscovite, puis employant de nouveau la langue de France :

— Suis ces soldats. Toute résistance serait dangereuse.

— Je le vois bien, fit insoucieusement le jeune garçon ; mais ce que je voudrais voir, c’est le Russe qui converse si bien dans mon idiome.

— Tout à l’heure tu seras satisfait, lui répondit-on.

Ses gardiens le poussèrent en avant. Avec eux, il s’engouffra dans les buissons et se trouva bientôt sous les arbres de la forêt qui enserre Saint-Dizier au nord et à l’est.

On suivit une sente à peine tracée. Milhuitcent commençait à s’inquiéter. Allait-on le conduire loin ainsi, alors que ses instants étaient comptés ; alors qu’un retard pouvait lui faire perdre la piste de ceux qu’il voulait, rejoindre à tout prix.

Il fut vite rassuré. À trois ou quatre cents pas de la lisière, la troupe déboucha dans un petit carrefour gazonné, au centre duquel s’élevait une de ces cabanes rustiques, faites de troncs d’arbres et de branchages, que les « charbonniers » construisent lorsqu’ils exploitent un lot de forêt.

Par la porte à claire-voie filtrait un rayon de lumière. Un soldat le désigna au prisonnier. Ce dernier comprit et poussa le battant.

Dans la misérable masure, trois hommes se tenaient, éclairés par une chandelle fumeuse, fichée dans le goulot d’une bouteille posée sur le sol de terre battue. L’un, dormait étendu sur une couchette de feuilles sèches, les deux autres assis, ayant pour sièges des billes de bois, regardèrent le jeune garçon. Lui aussi, les considérait, frappé de l’élégance de leur uniforme. Certes, ils étaient à « l’ordonnance » de l’armée russe, mais leurs traits, leur coiffure, leur attitude, décelaient des gens plus accoutumés aux salons qu’aux grandes routes.

Ce mutuel examen dura vingt secondes. Après quoi, celui qui avait fait procéder à l’arrestation du voyageur. — Espérat, reconnut sa voix — questionna d’un ton à la fois impertinent et aimable :