Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/193

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Mais secouant la tête :

— Je me retire. Peut-être aurai-je bientôt la suprême consolation de mourir à mon tour en criant : Vive la France !… Vive l’Empereur  !

Napoléon approuva du geste, et le vieux gentilhomme gagna la porte, non sans adresser un dernier regard à Espérat, immobile, les yeux agrandis par une expression de stupeur douloureuse.

Quand il eut disparu, le jeune garçon se releva brusquement. En phrases ardentes il conta son odyssée : Ivan Platzov, Marion Pandin, M. de Lamartine, les ruines de l’abbaye, il dit tout, et les paroles d’Alexandre de Russie, et celles d’Enrik Bilmsen.

L’Empereur écoutait pensif :

— Oui, fit-il sans que sa voix décelât la plus légère émotion. La situation devient claire. L’Autriche peut être détachée de la coalition… Ah ! ce serait partie gagnée… Tu vas dormir, Espérat, reprendre des forces… car j’aurai besoin de toi.

Et avec une douceur soudaine, dont le gamin se sentit pénétré jusqu’à l’âme.

— Dors aujourd’hui, petit enfant de France… Plus que l’Empereur, plus que le général victorieux peut-être, tu as mission de sauver le pays.

Milhuitcent voulut interroger ; Napoléon l’en empêcha :

— Obéis, obéis… Je te laisse ici… Je me rends à la mairie. Il faut que, demain, nous soyons à Saint-Dizier.

D’un ton de bonne humeur il ajouta :

— Je voyage moins vite que toi. J’ai trente mille hommes à mettre en mouvement.

Lui-même il conduisit l’enfant à la couchette installée dans l’angle de la pièce, le força à s’étendre sur la couverture, puis s’en alla sur la pointe des pieds.

Une minute plus tard, à travers les carreaux de la croisée, le gamin le voyait, passer dans la rue ; un instant sa pensée flotta, repassant les événements accomplis, mais bientôt, la fatigue aidant, Espérat ferma les yeux et s’endormit d’un profond sommeil.

Le petit jour blanchissait les vitres, quand le jeune garçon s’éveilla. Un aide de camp était debout auprès du lit.

— Ah ! il est temps de partir ?

— Oui. Sa Majesté m’a envoyé vous chercher.

— Voilà, je suis à vous.

Sautant à bas de sa couchette, Milhuitcent se brossa, se passa le visage et les mains à l’eau, et ragaillardi par cette ablution, il suivit l’officier.