Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/203

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— Je serai adroit si votre service l’exige.

— Bien répondu. Écoute donc. Je vais évoluer entre les armées alliées, cherchant à les accabler séparément…

— J’avais compris cela, Sire, en consultant la carte du pays.

Napoléon laissa percer sur ses traits une nuance d’étonnement :

— Tu te rends compte, c’est bien.

Puis revenant à l’objet de sa préoccupation :

— Espérat, tu peux me rendre un service tel, que dix victoires n’auraient point un résultat aussi heureux, si tu réussis.

— Que Votre Majesté parle.

— Te souviens-tu de ce que tu as entendu dans les ruines de l’abbaye.

— À Saint-Dizier… Enrik Bilmsen… le mariage de Mlle Lucile…

— Oui. La vaillante jeune fille et mon brave Vidal ont été emmenés à Châtillon-sur-Seine.

— Et… ?

— Tu vas les rejoindre, avec mission de les faire évader, de jeter à bas, par cela même, les combinaisons d’Alexandre de Russie et des conspirateurs royalistes…, et peut-être, avec un peu de succès de mon côté, arriveras-tu à séparer l’Autriche de la coalition.

Espérat devint tout pâle.

— Ah ! si j’avais ce bonheur, Sire…, je n’en demanderais plus d’autre.

L’Empereur fut touché de ce cri d’un dévouement sans bornes et tendant les deux mains à son jeune interlocuteur.

— Va, mon enfant. Utilise Bobèche, ton pope, comme tu l’entendras. Je leur ai adressé l’ordre de t’obéir en tout. Va, fais de ton mieux, c’est tout ce que je souhaite. Songe que jamais général n’engagea bataille plus décisive que celle que je t’envoie gagner. C’est pour la France…

— Et pour l’Empereur, s’écria le gamin électrisé par ces paroles.

Mais Napoléon secoua doucement la tête :

— L’Empereur veut la victoire pour la France, la retraite pour lui.

Et comme Espérat, avec un haussement rageur des épaules, bougonnait :

— Allons donc !

L’empereur eut un triste sourire.

— Va, ajouta-t-il.

Espérat s’inclina :

— Je pars. Après vous, j’emprunterai la devise de César, je vous écrirai, Sire : Veni, vidi, vici