— Il faut que la France soit faible pour que l’on n’ait plus à compter avec elle[1].
Vainement, le Prussien Humboldt disait :
— Vous êtes fanatiques de votre révolution, en France, fanatiques de liberté. Eh bien ! étant un petit pays, vous pourrez discuter de cela en toute tranquillité. Cela n’aura pas d’importance et personne ne s’en occupera[2].
M. de Caulaincourt ne rompait point les négociations. Il persistait à raisonner avec la courtoisie diplomatique ; ayant le rare et admirable courage d’affecter l’insensibilité, de paraître ne pas comprendre les injures. Il savait qu’en prolongeant les pourparlers, en permettant à l’Empereur de faire briller aux yeux de la nation l’espoir d’une paix prochaine, il donnait au grand capitaine le temps de préparer une victoire, qui peut-être changerait la face des choses.
Il se livrait à des dissertations auxquelles les commissaires de la coalition ne répondaient pas. Il rappelait qu’à la conférence récente de Francfort, l’Europe offrait la paix à la France et la frontière du Rhin, des Alpes ; il simulait un étonnement naïf de voir que ces conditions, acceptées par Napoléon, parussent oubliées par les membres du congrès de Châtillon.
Et quand on lui répliquait brutalement :
— Les circonstances ont changé.
Il souriait et reprenait placidement :
— Je me fais mal entendre…
Alors il recommençait son discours sur nouveaux frais, traînait l’entretien jusqu’à l’heure fixée pour la clôture de la séance, saluait ses adversaires d’un paisible :
— À demain, Messieurs.
Puis il rentrait chez lui, y pleurait de rage en murmurant avec une douloureuse satisfaction :
— Encore une journée gagnée.
Après quoi, il revêtait la tenue de cérémonie et se rendait à l’un des dîners que donnaient les diplomates, les généraux, cantonnés à Châtillon les émigrés attachés à l’armée d’invasion ; montrant à tous un front paisible, où rien ne décelait ses mortelles angoisses ni sa fureur intérieure.
Enfin, son devoir accompli jusqu’au bout, il retournait à son logis et