Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/211

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Et son front se ridant sous l’effort de la pensée :

— Puis, c’est le capitaine Marc Vidal, captif à la ferme Éclotte, sous l’inculpation d’espionnage. Espion, ce brave officier, incapable de dissimuler, allons donc !

M. de Caulaincourt s’interrompit et prêta l’oreille.

Le marteau de la porte de la rue venait de résonner.

Presque aussitôt Costard, le valet de chambre qui avait accompagné le diplomate à Châtillon, parut :

— M. de Lamartine et un paysan demandent à parler à monsieur le duc.

— Lamartine…, ce jeune officier russe…

— Qui habite la maison voisine de la ferme Éclotte… Oui, monsieur le duc.

— Introduis-les.

Un instant après Lamartine paraissait sur le seuil. Le futur poète du Lac avait troqué le costume militaire, sous lequel Espérat l’avait rencontré près de Saint-Dizier, contre un élégant habit civil.

Derrière lui marchait un homme de haute taille vêtu en paysan.

À la vue de ce dernier, le duc de Vicence ne put retenir un mouvement. Lamartine s’en aperçut :

— Ne regrettez pas ce geste, Monsieur le duc, celui que je vous amène est Dupeutit, courrier de Napoléon ; je l’avais reconnu aussi.

— Vous…, et vous me l’amenez ?

Le jeune homme eut un sourire mélancolique.

— Je hais l’Empereur, dit-il, mais j’aime passionnément la France. Si je suis accouru d’Italie, il y a un mois, si j’ai pris du service dans l’armée russe, c’est que j’espérais, avec l’aide de mon ami de Rochechouart, aide de camp d’Alexandre, décider le Czar à renverser Napoléon, mais à conserver à ma patrie ses frontières naturelles : le Rhin, les Alpes. Nous avons échoué, j’ai envoyé ma démission. Demain, 27 février, au soir, je reprendrai le chemin du pays transalpin… Comprenez-vous que j’introduise un courrier auprès de vous, qui défendez, avec un courage que j’admire, les intérêts français ?

Ces nobles paroles étaient prononcées avec une simplicité qui en doublait le prix.

— Ah ! s’écria Caulaincourt,… l’Empereur saura…

Mais Lamartine fronça les sourcils.

— Lui… ? Qu’il ignore cela.

— Pourtant.

— Je le hais, je vous l’ai dit… C’est la France seule que j’aime.