Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant Bobèche et Espérat se préparaient à rentrer en scène.

— Ainsi, questionnait le premier, tu as bien compris ?

— Parbleu. Le duel à coups de botte est un « passe-partout », comme tu dis en argot de théâtre. On prend l’événement important d’actualité. L’un des acteurs représente le gouvernement, l’autre son adversaire… ; de là, plaisanteries, critique du pouvoir…

— Oui, mais à cette heure, le gouvernement c’est…

— L’Empereur et son adversaire est la Sainte-Alliance. Il n’y a pas à discuter là-dessus. Au surplus d’Artin ne nous permettrait pas de tourner la difficulté.

— Hélas ! je le crains.

— Donc, va pour l’Empereur et la Sainte-Alliance.

Bobèche serra nerveusement les mains du jeune garçon :

— Tu songes bien que les coups de botte devront être donnés à l’Empereur…, sans cela ces gueux nous arrêteraient sûrement.

— Oui, j’y songe, grommela Espérat d’un ton sombre.

— Le rôle est dur pour nous… ; je ferai donc l’Empereur, comme cela je recevrai les horions.

Mais l’enfant lui étreignit le bras :

— Non, non, l’Empereur, ce sera moi…

— Toi… ?

Oui, oui, je t’en prie… ; j’aime mieux recevoir les coups que les donner… Frapper sur lui, même en folie, en pitrerie, je ne pourrais pas.

Des larmes roulaient dans les yeux d’Espérat, disant la souffrance de son cœur dévoué.

— Soit, consentit le comédien, tu seras l’Empereur, mais pas de nerfs, mon pauvre vieux, pas de nerfs… Napoléon se moque bien de cette petite exhibition, et quand il saura l’évasion de Mlle Lucile, sois certain qu’il rira de notre pantalonnade.

Le gamin avait relevé la tête :

— Tu as raison, serrons-nous la main et en scène.

Les doigts des braves garçons se nouèrent un instant, puis Bobèche marchant le premier, ouvrit la porte conduisant à l’estrade.

Un grand silence accueillit l’entrée des jeunes gens.

Avec l’aisance que donne l’habitude, le pitre s’avança, salua à trois reprises, et se cambrant, amenant un sourire de commande sur ses lèvres :

— À la demande générale, nous allons avoir l’honneur de représenter le duel à coups de botte ou la situation politique, impromptu.

Après quoi, avec l’inimitable accent qu’il savait prendre :