— Comme le disait plaisamment Molière, insista Bobèche, un bon impromptu doit être fait à loisir… Vous conter, au pied levé, les incidents actuels serait audacieux ; je craindrais de vous ennuyer.
— Non, non, gronda d’Artin, nous serons indulgents.
Soudain Milhuitcent tira son ami par la manche :
— Cède.
— Quoi, tu veux ?
— Railler l’Empereur… pour le servir, oui.
Dans les yeux du jeune garçon brillait une résolution telle que Bobèche n’hésita plus.
— Soit donc, Messieurs, je me rends à vos souhaits. Accordez-nous cinq minutes pour convenir des grandes lignes de la saynète, et nous serons tout à vos ordres.
— Accordé ! Accordé !
Cris, applaudissements se croisèrent ; les deux jeunes gens, après un dernier salut, disparurent par la porte d’accès à la scène.
Aussitôt de nombreuses conversations s’engagèrent entre les spectateurs.
— Vous vous êtes mépris, vicomte, dit M. de Humboldt assez haut pour être entendu de ses collègues au congrès. Ce petit Espérat est un histrion de profession.
— Il me semble, en effet, appuya lord Aberdeen.
— Ma foi, déclara le prince de Metternich ; j’hésitais à donner mon avis, de crainte d’être encore accusé de tiédeur ; mais puisque ce cher de Humboldt a exprimé ma pensée, je me décide à penser à haute voix.
Les lèvres serrées, d’Artin écoutait.
— Je ne me suis pas trompé, fit-il d’une voix dure.
— Pourtant !
— Eh ! Messieurs, qu’importe que ce drôle soit ou non comédien… Ce qu’il nous faut établir, c’est l’état de son esprit. Est-il ou n’est-il pas un fidèle du Corse ?
— Ah ! ça… c’est autre chose.
— Nous allons voir de quelle façon il daubera sur notre ennemi…, et si l’expérience ne nous paraît pas concluante…
— Que ferez-vous ?
— Je vous convierai à un spectacle, après lequel vous n’aurez plus aucun doute.
— Qu’est-ce ? Qu’est-ce ? demandèrent curieusement les auditeurs.
— Laissez-moi vous ménager la surprise.