Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/292

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— Possible, mais ailleurs cela ne me gêne pas.

Et avec une colère croissante :

— Ces gueux qui nous obligent à rester à plat ventre sur la terre par un temps pareil.

— Tu es libre d’allumer du feu et d’indiquer ainsi notre position.

— Appelle-moi idiot tout de suite.

— Je m’en garderais bien. Seulement tu es impatient… Or, un philosophe grec dont le nom importe peu, a dit cette parole mémorable : Il convient de supporter avec patience ce qui ne saurait être empêché.

— Au diable la Grèce et la philosophie ! La mienne… de graisse… se fige au contact de l’air.

— Touche à tout, railla Milhuitcent !

— Comment, touche à tout ? Que veux-tu dire ?

— Tu te plains du contact de l’air.

— Eh bien ?

— N’y touche pas.

Du coup, Bobèche se dérida :

— Ah ! maître Espérat, chuchota l’aimable comédien, tu profites des leçons, toi. Voilà une observation que ne désavouerait pas Galimafré lui-même.

— Alors tâche de riposter avec autant d’esprit que Bobèche en personne. La lune affleure l’horizon, elle nous regarde avant de nous souhaiter le bonsoir… Un peu d’esprit pour saluer son départ.

— Le moindre fourneau à esprit-de-vin ferait bien mieux mon affaire.

— Nous aurions dû emmener le pope, il t’en aurait fourni.

— Assez, assez, tes facéties me navrent ! Elles me prouvent que je suis incomplet. J’ai besoin des planches, des tréteaux pour être possédé de la verve comique. Ici, dans cette île déserte, entre des rives trop populeuses, je ne suis qu’un morne Robinson, et cela me vieillit terriblement, car le héros de Daniel de Foe, vit le jour, si je ne m’abuse, en 1719.

— Monsieur désire embrasser la profession de centenaire ? demanda gravement Espérat.

Bobèche ne répondit pas à la question.

Étonné, le jeune garçon le considéra. Le pitre, appuyé sur ses coudes, regardait dans la direction du rivage.

— Qu’est-ce ?

— Je n’en sais rien. Mais les Prussiens doivent manigancer quelque chose contre nous.

— Pourquoi supposes-tu cela ?