Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— D’abord, il y a au moins un quart d’heure qu’ils s’abstiennent de canarder l’îlot.

— Ils nous croient morts, peut-être.

— En ce cas, ce sont nos cercueils qu’ils préparent. Regarde là bas, près de ce bouquet d’arbres, ces ombres qui s’agitent.

— Je vois.

— Eh bien,… dans quel but cette agitation ?

— Ah ! cela… je l’ignore.

— Et moi, je m’en inquiète.

Tous deux restèrent en observation. Sur la rive droite les ennemis préparaient évidemment quelque chose. On distinguait des silhouettes humaines allant, venant, se réunissant en un point, pour repartir de nouveau.

Mais l’ombre des arbres, près desquels se passait la scène, empêchait de discerner à quel travail se livraient les soldats.

Bientôt d’ailleurs tout mouvement cessa, les Prussiens disparurent, et la berge reprit son apparence déserte.

Cependant la lune avait poursuivi sa route céleste. Elle disparut sous l’horizon, l’obscurité envahit la surface de la terre.

— Transportons notre canot, fit alors Espérat. Grâce aux ténèbres enfin revenues, nous allons glisser entre les doigts de ces bélitres.

Se plaçant à l’avant du bateau tandis que son ami soutenait l’arrière, tous deux se mirent en marche.

Ils allaient lentement, contournant les arbres, les buissons, s’arrêtant lorsqu’une branche morte craquait sous leurs pieds.

Précaution superflue, car le murmure confus de la rivière ne devait pas permettre aux hommes campés sur le rivage d’entendre ce bruit léger.

Enfin ils atteignirent l’extrémité de l’île, tournée vers l’aval du cours d’eau. Ici, les buissons croissaient jusqu’au bord et de hauts roseaux prolongeaient la terre ferme.

— Sauvés, dit joyeusement Bobèche. Dans deux minutes, la barque sera à flot, nous dedans, et bonsoir la compagnie… Robinson rentre à son domicile.

Mais il achevait à peine qu’une exclamation de rage échappait à Espérat.

Sur les deux rives, des lumières venaient de s’allumer soudain. Elles grandissaient, élargissaient leur zone de clarté… Les Prussiens avaient enflammé des bûchers de bois sec. C’était à cela qu’ils travaillaient tout à l’heure.