— Général, dit-il, je suis Bulow. J’ai tenu à vous parler en personne.
— Vous, vous ?… balbutia Moreau très impressionné par ce début.
— Oui, moi.
— Comment avez-vous osé ?…
— Pénétrer dans Soissons… Parce que j’ai confiance en votre loyauté. La qualité de parlementaire me couvre.
— Cela est vrai.
— Et puis j’ai admiré l’énergie de votre résistance, je veux éviter de massacrer les pauvres diables qui forment la garnison… C’est avec des sentiments amis que je suis venu ; un autre n’aurait pas la possibilité le traiter comme moi.
— Ah ! s’écria Moreau, ravi dans sa pusillanimité momentanée de la tournure de l’entretien, vous parlez en véritable homme de guerre…, ayant l’horreur du sang versé inutilement.
Les yeux de Bulow lancèrent un éclair aussitôt éteint. Le cri échappé à son interlocuteur venait de lui révéler l’état d’esprit de ce dernier. Il avait en face de lui un trembleur, une victime résignée d’avance à son sort ; il pouvait donc tout oser.
Et sentant le succès assuré, il continua sans périphrases oiseuses :
— J’ai cinquante mille hommes dans la main.
— C’est à peu près le chiffre évalué par mes reconnaissances, confessa le gouverneur tel un enfant devant son maître.
— Que je les lance ce soir à l’assaut de vos retranchements et la ville sera prise. Je perdrai du monde je le sais ; mais cinq ou six mille morts et blessés ne sont rien pour l’Europe en armes. Seulement, mes soldats irrités, massacreront la garnison, mettront Soissons au pillage. Voilà ce que je désire éviter.
Et voyant le faible Moreau pâlir.
— Rendez-vous donc, conclut brusquement Bulow ; nous allons discuter les conditions de la capitulation.
Une heure après, le général Bulow retournait à son camp. Wintzingerode l’attendait.
— Eh bien ? fit ce dernier avec anxiété.
— La reddition est entendue en principe.
— Entendue, dites-vous ?
— Oui.
— Mais alors ce Moreau est un traître à son pays.
— Du tout ; c’est un simple imbécile. Il est persuadé que son devoir est de conserver à Napoléon les 12 ou 1,300 fantassins qu’il commande.