leur lueur rougeâtre, le visage du Maître prenait une apparence terrible, fantastique.
Son regard d’aigle distingua Espérat dans la foule.
D’une voix brève, il prononça :
— Milhuitcent !
Et les soldats, les habitants s’écartèrent, laissant le chemin libre au fils adoptif de M. Tercelin.
Napoléon fixa longuement les yeux sur lui, puis d’un ton glacial :
— Tu vis…, et Soissons s’est rendu.
— Après que le général Moreau m’eut fait jeter en prison avec mon ami Bobèche, répliqua le gamin sans courber la tête sous le reproche immérité.
— En prison, toi ?
— Oui… Parce que je sommais le gouverneur de déchirer une capitulation honteuse.
Une ombre de tristesse voila la figure de l’Empereur, et d’un accent adouci :
— Pauvre enfant… Venez avec moi, mes amis… Vous me direz ce qui s’est passé.
Il poussa son cheval. Les habitants se rangèrent, et lentement, escorté par les cuirassiers porteurs de torches, les jeunes gens marchant auprès de sa monture, il gagna l’hôtel du Gouvernement.
Là il entraîna les deux amis dans une salle, s’y enferma avec eux :
— Parle maintenant, Espérat, parle, je t’écoute, mon enfant.
Milhuitcent obéit. Il dit son voyage, son arrivée à Soissons, son entrevue avec le général Moreau.
Napoléon l’interrompit une seule fois pour murmurer :
— Le nom de Moreau m’a toujours été fatal.
Il faisait ainsi allusion au général Moreau, passé au service de l’Europe coalisée, et qu’un boulet français, tardive vengeance, avait tué en 1813.
Le récit achevé, il demeura pensif. Douloureusement il proféra enfin :
— Veni, vidi, vici… Sed victoria fugit.
L’émule de César se révélait une dernière fois. Après le grand capitaine romain, il pouvait s’écrier :
— Je suis venu, j’ai vu, j’ai tenu la victoire !
Et par la faute d’un incapable, il était contraint d’ajouter :
— Mais la victoire s’enfuit.
Sans doute en son esprit s’établit ce rapprochement entre César et