Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/335

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Dans l’un de ces derniers, Espérat reconnut le comte de Rochegaule, et il se découvrit.

L’approche du trépas avait encore accentué le caractère d’énergie du visage du vieux gentilhomme. La face brune, parcheminée, prenait des tons de bronze dans l’encadrement des cheveux d’argent.

Le jeune garçon restait là, figé dans la contemplation de ce mourant, qui peut-être lui avait donné la vie, quand une harmonie passa sur la place, portée par le vent.

L’orgue de l’église du Saint-Voile exécutait la marche triomphale de l’hyménée.

Le portail venait de se rouvrir, et comme très loin, dans la pénombre mystérieuse du sanctuaire, les cierges de l’autel brillaient ainsi que des étoiles d’or.

De même que les autres personnes rassemblées sur la place, Milhuitcent regarda. Le cortège nuptial s’était formé, se mouvant confusément dans l’église. Il se rapprocha avec lenteur du portail,… arriva en pleine lumière.

Et le gamin gémit d’une voix étranglée :

— Lucile ! En mariée !

Oui, la jeune fille était là, au bras d’Enrik Bilmsen rayonnant. Autour d’elle, ses yeux, au regard vague, erraient sans se fixer. Plus blanche que sa robe, on sentait qu’en elle la pensée était absente, le cœur engourdi.

Guidée par le secrétaire de Metternich, elle marcha vers le carrosse de voyage arrêté devant le temple.

Elle allait y prendre place, s’éloigner à jamais…, et le comte de Rochegaule s’éteindrait sans que la main pieuse de sa fille lui fermât les yeux.

L’idée parut insupportable à Espérat. Il oublia que lui-même se trouvait en danger, que d’Artin dont il apercevait le visage cynique et railleur était son ennemi juré. En quelques bonds, il fut auprès de Lucile.

Le vicomte le reconnut :

— Toi ?… commença-t-il.

Il ne put continuer. Vers le convoi de blessés, le bras du jeune garçon s’étendait en un geste tragique, et des lèvres d’Espérat jaillirent ces mots :

— Là,… parmi ces malheureux,… le comte de Rochegaule se meurt.

Un double cri lui répondit ; cri de surprise chez d’Artin, cri d’épouvante chez Lucile. L’esprit de celle-ci s’était brusquement réveillé au choc brutal de la sinistre nouvelle.