en selle, au galop. Vous ne pouvez prolonger votre absence ; on vous chercherait au château… Bah ! de l’autre côté de la forêt d’Ancerville, il semble que l’on soit au bout du monde. Qui donc ira s’aviser que l’enfant que vous jetez dans un champ d’avoine est votre frère, le dernier-né du comte de Rochegaule ? Et vous rentrez. Vous remettez votre cheval à l’écurie, sans le bouchonner, imprudence bien étonnante de votre part, mais vous êtes sans doute pressé. Vous remontez à votre chambre, vous cachez les langes enlevés à l’enfant. Puis le désordre de votre toilette réparé, vous vous montrez au salon, vous causez gaiement. Après quoi, vous regagnez votre appartement, vous emportez le linge que vous avez serré un instant plus tôt. Vous courez au logis de Marion. Bravo ! la pauvre femme n’est pas encore rentrée. Alors vous tirez son fils de sa couchette, vous l’affublez de la défroque d’Henry, vous le placez dans le berceau de ce dernier. Vous venez d’achever quand Marion rentre. Celle-ci, terrorisée, déclara deux jours après qu’elle avait envoyé son fils chez des parents établis dans le Languedoc. Six mois plus tard, elle annonça la mort du petit.
Tous écoutaient, incapables de proférer une parole, anéantis par la vérité brusquement mise au jour, et aussi par la précision des détails. Marion avait fait son enquête, elle, et les traces lui avaient révélé les diverses phases du drame.
— Henry de Mirel, reprit le jeune soldat, après un moment de silence, Henry de Mirel fut découvert le lendemain matin par le maître d’école de Stainville, M. Tercelin.
— Hein, clama Bobèche en se rapprochant vivement…
— Il se nomme à présent…
— Henry, supplia Espérat… n’ajoute pas un mot.
Mais avec une affection brutale, le jeune garçon répondit :
— Tais-toi, salue… C’est la justice qui passe.
Puis s’adressant à Lucile :
— Il s’appelle : Espérat Milhuitcent !
— Lui… lui !… s’écria Mlle de Rochegaule, lui qui m’avait sauvée…
— Comme il avait sauvé votre père, à l’assaut de Saint-Dizier, ajouta Henry d’une voix grave.
Lucile s’était dressée toute droite, la tête légèrement renversée en arrière, les bras tendus. D’un regard étincelant elle enveloppait le jeune garçon, et celui-ci croyait sentir pénétrer en lui le rayonnement des yeux de sa sœur.
— Oh ! reprit-elle en joignant les mains, cela devait être… D’Artin traître et méprisable, moi, faible et lâche,… il fallait que celui-ci sortît de