Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/364

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longue conférence, à l’issue de laquelle les voitures de la Cour avaient été commandées pour le 29.

Le chargement en avait commencé aussitôt. Bagages de la famille impériale, papiers de Napoléon, le reliquat de son trésor de guerre (18.000.000 de francs), les diamants de la couronne s’étaient empilés dans les coffres.

Des officiers de la garde nationale avaient forcé les portes des Tuileries, car dans de pareilles extrémités l’étiquette disparaît. Ils avaient conjuré Marie-Louise de demeurer au milieu d’eux.

— Vous nous verrez mourir pour vous défendre, disaient-ils.

Ce à quoi elle avait répondu :

— Je ne suis qu’une femme, sans autorité… Je pars en vous remerciant de votre dévouement.

L’Empereur s’était senti le cœur brisé à la lecture de ce papier.

Il avait eu l’intuition que l’agonie morale commençait pour lui. Dans la brume du rêve, il avait entrevu la longue file des voitures de la cour quittant le Carrousel, traversant les rues de Paris, saluées par un peuple attristé.

Et son fils, son fils…, où le conduisait-on ? Le héros fût mort de douleur s’il avait pu entendre la réponse du destin :

— On l’emmène à Vienne, où il doit rendre l’âme, sans père, presque sans mère, sans patrie, réduit à ignorer son origine glorieuse.

Mais l’avenir reste mystérieux pour les plus puissants génies. Napoléon, un instant atterré, retrouva bientôt toute son énergie.

— Soit, dit-il, tous m’abandonnent ;… je vaincrai seul.

Puis ordonnant à ses généraux de presser la marche de l’armée sur Paris, il avait pris les devants avec son escorte.

Le 30 au matin, il atteignit Villeneuve-l’Archevêque. Là il emprunta la poste, avec M. de Caulaincourt et le maréchal Berthier, suivi seulement d’Espérat et de ses deux amis.

Il avait envoyé en avant le général Dejean, pour annoncer son arrivée à la garnison de Paris et supplier Joseph, Marmont, Mortier, de tenir coûte que coûte contre l’ennemi.

Vers minuit, sa voiture atteignit Fromenteau.

À ce moment, Espérat poussa son cheval à la portière :

— Sire, dit-il.

L’Empereur ne l’entendit pas. Le masque immobile, comme figé, les yeux rivés sur le point de l’horizon où se trouvait Paris, il semblait absorbé par une pensée unique. Parvenir là bas assez tôt pour sauver sa capitale.