Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/398

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Le jeune homme avouait sans peur, son clair regard fixé sur celui du Maître.

— Un contrepoison… Comment saviez-vous ?

— Le cœur devine ce que la raison ne perçoit pas.

— Le cœur ?

— Oui… M. de Caulaincourt qui vous aime, autant que moi, avait lu dans votre pensée.

— Et…

— Vous nous êtes rendu, répliqua Milhuitcent en fondant en larmes.

Pendant un instant, Napoléon parut lutter contre son émotion. Enfin ses yeux se voilèrent…

— Sire, vous pleurez, s’écria Espérat, donc vous pardonnez.

— Oui je pardonne, car je pleure sur toi, sur Caulaincourt, sur votre dévouement… et aussi sur moi que votre affection condamne vivant, à connaître l’horreur du tombeau.

— Que dites-vous, Sire…

— Il n’y a plus de Sire.

— Si… Malgré tout, plus haut que les vainqueurs d’un jour… vous restez l’Empereur. L’aigle domine les hommes.

Napoléon secoua la tête :

— L’aigle est blessée à mort, l’aigle est morte.

— Non, Sire, l’aigle est immortelle.

Et s’animant par degrés, tel un devin tourmenté par l’inspiration :

— Les Bourbons en France… folie… ils ne comprennent pas, mais je vois, je vois demain, ces rois, esclaves de l’étranger, serviteurs d’une tradition que la révolution a brisée… en désaccord avec la nation… Je vois le peuple tourner les yeux vers l’île d’Elbe, tendre les bras vers son chef, vers son Empereur. Oh ! Sire, Sire, croyez-moi, M. de Caulaincourt, Marc Vidal, mon père adoptif, ses cinquante partisans, votre garde, tous ceux que révolte la défaite et la servitude, nous sommes là pour dénoncer les fautes de ces rois qui osent rentrer en France à la suite de l’invasion… Vivez… Vivez… La patrie a besoin de vous.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le 20 avril, après des adieux déchirants à la garde, après avoir embrassé devant le front des troupes, le général Petit, porte-drapeau de la légion… l’Empereur prenait la route de l’exil.

Mais à une fenêtre du palais Espérat Milhuitcent parut. À ce grand vaincu il cria :

— Sire ! l’aigle est immortelle…