Vois, cédant au besoin d’aimer,
— C’est drôle tout de même, murmura le virtuose, c’est drôle l’histoire des peuples. On a coupé la tête à Marie-Antoinette d’Autriche, et on a fait des vers pour sa petite nièce Marie-Louise… Guillotin pour la reine, alexandrins pour l’Impératrice.
Le jeune homme secoua la tête :
— Non pas pour elle… pour Lui, pour Lui seul… lui qui était et redeviendra le maître du monde.
Et levant les bras dans un geste lyrique, Espérat cria sur la route déserte :
— Vive l’Empereur !
Ce monologue musical et parlé avait conduit le piéton hors des bois d’Ancerville.
En avant de lui apparaissait le clocher de Stainville, ce joli village couché au bord de la claire rivière Saulx, qui réunie, plus au nord, à l’Ornain, va rejoindre la Marne à Vitry-le-François.
À cette vue Espérat hâta le pas.
C’est que là-bas, il retrouverait les deux êtres qu’il aimait le plus au monde, ceux qu’il avait nommés tout à l’heure : Emmie, Tercelin.
Étaient-ils ses parents ? Non. Espérat n’avait pas de parents. Un beau jour de l’an 1800, M. Tercelin, maître d’école à Stainville, l’avait trouvé, emmailloté de langes grossiers, dans un champ de seigle proche de l’agglomération.
Le magister n’avait jamais songé à se marier, uniquement occupé d’inculquer à ses élèves les principes de la lecture et de l’écriture ; mais en voyant l’enfant abandonné, il se sentit devenir père.
Il rapporta sa trouvaille vagissante au village, déclara l’adopter, et comme le calendrier indiquait que le jour était consacré à saint Espérat, et que le millésime de l’année était mil huit cent, le bébé inconnu fut baptisé par tous les voisins : Espérat Milhuitcent. Le nom lui resta.