Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/85

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— S’ils me croyaient cependant… Si j’écrivais ici l’acte d’accusation dont mes ennemis poursuivront ma mémoire.

Mais secouant la tête avec énergie :

— C’est le sort des élus de la fatalité d’être calomniés… Les républicains m’accuseront d’avoir confisqué la République, plutôt que d’avouer que j’ai ramassé son drapeau sombrant dans l’anarchie… Les royalistes traîneront mon nom dans la boue pour éteindre ma gloire qui effacera leurs princes ; l’étranger se vengera d’avoir tremblé, continuera sa lutte contre l’idée, en m’accablant d’injures… C’est le sort… L’avenir lointain seul amènera les peuples à entendre la voix de la justice !

Et il se remit à écrire :

« La France n’a pas commis d’erreurs ; elle m’a prodigué son sang : elle ne m’a refusé aucun sacrifice… Qu’elle ait donc la gloire de mes entreprises ; qu’elle l’ait tout entière, je la lui laisse… Quant à moi, je ne me réserve que l’honneur de montrer un courage bien difficile, celui de renoncer à la plus grande ambition qui fut jamais et de sacrifier au bonheur du peuple des vues de grandeur qui ne pourraient s’accomplir que par des efforts que je ne veux plus demander. Partez donc, Messieurs, annoncez à vos départements que je vais conclure la paix, que je ne réclame plus le sang des Français pour mes projets, pour moi, comme on se plaît à le dire, mais pour la France et pour l’intégrité de ses frontières ; que je leur demande uniquement le moyen de rejeter l’ennemi hors du territoire, que l’Alsace, la Franche-Comté, la Navarre, le Béarn sont envahis, que j’appelle les Français au secours des Français ; que je veux traiter, mais sur la frontière et non au sein de nos provinces désolées par un essaim de barbares. Je serai avec eux, général et soldat. Parlez et portez à la France l’expression vraie des sentiments qui m’animent. »

Trois petits coups secs, frappés à la porte du bureau, interrompirent le travail de l’Empereur.

Il releva la tête, regarda vers l’entrée d’un air surpris :

— Qui donc est là ?

Puis il haussa les épaules et dit :

— Entrez.

Malgré la permission, la porte ne tourna point sur ses gonds.

Plus étonné encore, Napoléon se dressa, alla ouvrir lui-même, et se trouva en face d’Espérat Milhuitcent, rougissant, embarrassé, qui bredouilla au hasard, sans avoir bien conscience de ses paroles :

— Bonjour, Sire… c’est encore moi.

Accroché derrière la caisse de la voiture qui amenait Talleyrand et