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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

L’obstacle verdoyant se perça d’une petite meurtrière par laquelle le duc coula un regard prudent. Il apercevait le chemin au ton d’ocre, suivant les sinuosités de la rive, entre deux bordures de gazon d’un vert sombre, régulières comme des moquettes naturelles.

Au delà s’étendait la plaine unie, sans accident de terrain, dont la platitude monotone n’était interrompue que par un petit verger, enclos de barrières de bois peintes en bleu, et contenant une trentaine de pommiers. La propreté légendaire du Hollandais avait enduit les troncs et les basses branches d’une couche de peinture d’un blanc rosé. C’était très laid.

Mais l’attention du voyageur fut détournée des choses par deux personnages, debout sur le chemin à cinq ou six pas de lui, et dont l’aspect semblait étrange, paradoxal, au milieu du paysage néerlandais.

Deux géants, ces individus. Épaules de coltineurs, cous de taureaux, muscles d’acier saillant sous la cotte de toile bise des pêcheurs, jambes vigoureuses, massive ainsi que des colonnes romanes, enfermées en des pantalons de même tissu. Un filet-épervier gisait à terre auprès d’eux.

Mais l’étrange, l’incroyable, était le visage des pêcheurs. Faces imberbes, jaunes, aux tons d’ambre ; yeux noirs obliques, pommettes saillantes. Une expression d’astuce, de férocité, transformait leur sourire en un rictus félin.

— Il n’y a pas à hésiter, murmura le duc, ces gaillards-là viennent directement du Turkestan chinois… Ils ont fait du chemin pour prendre le plaisir de pêcher en Hollande.

Il tressaillit. Près de lui, une voix légère avait prononcé :

— Eh bien… comprends-tu maintenant ?

Sara s’était faufilée à son côté, et la curiosité de ses regards disait que la jeune femme aussi s’étonnait de l’aspect des inconnus.

Il mit un doigt sur ses lèvres et prêta l’oreille.

— Comme chaque jour, disait l’un qui semblait commander à l’autre, il est à son poste ?

— Oui, seigneur Log !… Il pêche… son seul plaisir… en attendant l’heure d’agir.

— Et il ne rentre jamais avant la nuit

— Jamais… En dehors de ses… associés, — l’or-