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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

— Chut, fit-il en sourdine… tu n’entends donc pas ?

Un murmure de voix arrivait à eux, semblant venir du chemin bordant la rivière, de l’autre côté des buissons qui les abritaient. Elle chuchota :

— Eh bien, ce sont des promeneurs comme nous… Nous croyais-tu donc les Robinsons d’une rive déserte du Rhin ?

— Non… mais ces gens-là ne parlent pas hollandais.

— Tu sais, il y a quelques personnes comme cela, dans le monde.

— Ne ris pas… il me semble reconnaître le dialecte du Turkestan chinois.

Sara ouvrit des yeux admiratifs.

— Tu connais ça, le turkestan… Tu es donc un petit Berlitz des familles ?

— J’ai été gérant du consulat français à Calcutta…

Elle le menaça du doigt.

— Oh ! pas de blague… Premier prix de géographie, au lycée : Calcutta, embouchure du Gange, Inde Anglaise ; cela n’a aucun rapport.

— Attends donc… j’avais un boy (serviteur), né sur les pentes des Monts Célestes… alors… visant la carrière des consulats… tu comprends ?

— Oui, tu as pioché son auvergnat… et cela te sert aujourd’hui à reconnaître…

— Quelques mots par-ci, par-là… le reste est confus.

Il tressaillit.

— Quoi ?

— Le mot « tuer » a été prononcé.

— Comment tuer ?… Il y aurait des apaches jusqu’ici.

— Chut !

Lucien s’était allongé sur le sol, et rampant sur l’herbe, il se rapprochait des buissons.

— Ce que tu fais là ? murmura-t-elle, curieuse.

— Je veux voir.

Lucien atteignait les buissons ; avec d’infinies précautions, il glissait sa tête à travers le lacis des branches, pour tâcher de voir au delà. Une brise protectrice bruissait dans les feuillages et dissimulait le bruit léger que ne pouvait éviter le jeune homme.