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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

chinois disposés non pas en lignes verticales, ainsi que dans les manuscrits des scribes, mais dessinant des arabesques, des figures géométriques. Et, nouvelle étrangeté, chacun des signes était accompagné par un point, soit rouge, soit bleu.

— Tous sont avertis, grommela San, tous. À minuit, ils agiront. À deux heures, la ville sera déserte, ruinée, les Européens morts, les « Jaunes » partis avec le butin.

Il eut un ricanement silencieux.

— Les jeunes personnes ne doivent connaître que les résultats, non les moyens !

Et, après un coup d’œil vers le jardin, où se profilait, dans la pénombre, la silhouette de Sara :

— Celle-ci n’y songe guère, du reste… Elle regarde dans son cœur.

Sur ce, il se dirigea vers une étagère, aux deux angles de laquelle se dressaient des récipients de cristal emplis d’une eau limpide.

Il prit celui de droite, y versa une poudre blanche enfermée dans une petite boite tirée de sa poche, puis, replaçant le vase sur l’étagère :

— Là… elles dormiront bien… Voici leur carafe… et voici la mienne, acheva-t-il en désignant celle qu’il n’avait pas touchée.

Puis avec ironie :

— Le Maître avait raison quand il disait : « Étudier les moyens de provoquer le sommeil, c’est apprendre à régner sur le monde… » Parbleu ! il me le démontre par l’expérience.

Il revint à la porte-fenêtre, jeta un regard dans le jardin.

Sara n’avait pas fait un mouvement. Elle était toujours pelotonnée au bord du bassin murmurant, où dans les stries d’or évoluaient les « rubis », donnant l’illusion d’un steeple-chase féerique. Les lèvres de San se crispèrent en une grimace qui avait l’intention d’être un sourire.

— Cette petite Européenne inquiète bien à fort le Maître, grommela-t-il. Est-ce que ces barbares savent regarder ! Non. Cela rêve, cela discute avec soi-même… Cela ne regarde pas !

Et avec un haussement d’épaules :

— Les autres ne tarderont pas… Je vais faire dresser le couvert. Il faut manger pour boire… il faut boire pour dormir…