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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

— Maintenant nous sommes d’accord… suivez-moi dans ma chambre… et veillons, puisque l’on désire que nous dormions.

Elle avait pris la lampe. Silencieuses, Mona et Lotus-Nacré la suivirent.

Tout à l’heure les jeunes filles se sentaient des âmes rivales. Les paroles de Sara avaient soudain réduit la distance qui les séparait.

Pourquoi ? Elles n’auraient su le dire ; mais autour d’elles une chose inexplicable avait passé, les effleurant d’un frôlement impalpable, leur apportant une anxiété, un malaise, une attente d’inconnu.

Par l’escalier raide et étroit, elles parvinrent au premier étage.

Un petit palier carré, tapissé de nattes multicolores, et sur lequel s’ouvraient quatre portes laquées de rouge, avec, sur les panneaux, les silhouettes d’or des Esprits Bienfaisants, au casque d’argent portant en cimier la tête du Coq blanc. Sara ouvrit celle de droite.

— Je vous reçois dans ma chambre, dit-elle à voix basse, parce que les fenêtres donnent, l’une sur la rue, l’autre sur le jardin. Nos yeux peuvent s’ouvrir des deux côtés.

— Éteignons la lampe.

— Vous avez raison. Nous avons absorbé un narcotique, donc nous tombons de sommeil… Bonsoir !

L’obscurité se fit. Sara venait de tourner le bouton commandant la mèche.

Par les vitres entrait la clarté lunaire, et aussi les rayons jaunâtres projetés par un réverbère électrique planté en face de la maison.

Groupées d’instinct près de la croisée ménagée sur la rue, les jeunes filles regardaient au dehors, surprises de ne discerner rien d’anormal.

Comme chaque soir, à pareille heure, la voie était à peu près déserte. De loin en loin, un colon attardé passait en se hâtant, ou bien des Célestes, marchands de riz bouilli, coiffeurs ambulants, diseurs d’avenir, rentrant à leur domicile, poussaient devant eux les légères charrettes à une seule roue centrale, supportant leurs installations culinaire, antipileuse, ou magique.

Au temple allemand de Vei, l’horloge monumentale, apportée à grands frais de Kœnigsberg, sonna dix heures.