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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

à présent, qui a la superbe orgueilleuse des ducs, ses ancêtres, et lui, lui, il a peur pour elle…

Mais il n’exprime pas sa pensée. Une voix ironique, mordante, interrompt les causeurs, leur cause à tous un petit frémissement :

— Je suis heureux de connaître la volonté de Mme  la duchesse de la Roche-Sonnaille.

Tous ont reconnu l’organe abhorré de Log. Ils se tournent du côté où il a retenti, prêt à le braver du regard.

Et ils demeurent stupides devant le tableau qui s’offre à leurs yeux.

C’est bien Log, mais combien différent de celui qu’ils s’attendaient à voir ! Un instant, ils se demandent quelle est la sinistre apparition, qui semble le produit hybride, déconcertant de l’hallucination.

Puis, ils distinguent mieux. San est devant eux. Il porte autour du col une planchette analogue a la cangue.

Puis, sur cette planche est attaché un être, ou plutôt un débris d’être, à la fois grotesque et terrifiant.

Un torse humain se dresse au-dessus de la tête de l’athlétique serviteur, un torse privé de jambes, un torse auquel s’attache un seul bras, et que domine une tête couturée, grimaçante, où brillent comme des tisons ardents, des yeux injectés, féroces, affolés de haine.

Et cette tête dont l’expression n’a rien d’humain, cette tête parle :

— Regardez-moi… regardez-moi bien… Voilà ce qu’a fait de moi la mine dont Mme  de la Roche-Sonnaille a provoqué l’explosion dans la passe de Ki-Lua.

Personne n’a la force de répondre.

Une sorte de terreur superstitieuse jugule la voix des assistants. Une horreur physique les étreint devant ce tronçon humain, devant cette forme horrible survivant à l’effroyable catastrophe.

Log ricane. Sa face couturée se crispe horriblement.

— J’étais fort, jeune, beau… Voilà ce que vous avez fait de moi !

Et, avec un rire grelottant :

— Ma parole, je crois que vous avez presque pitié ! Inutile ! la pitié est un sentiment qui n’a plus de raison d’être… C’est un anachronisme en Asie. Il ne doit plus y avoir que haine et que sang.