Page:Ivoi - Le Maître du drapeau bleu.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
416
LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

moi serait immédiate. Nous nous embarquerions pour l’Europe… Vous nous indiqueriez un moyen, connu de vous seul, de vous apprendre que nous avons gagné la France, que nous sommes en sûreté… C’est au reçu de cette preuve que vous auriez promis…

Le Turkmène l’interrompit :

— Je devine… Vous n’envoyez pas l’avis… et dès lors ma parole est nulle…

Et avant que le duc eût pu placer un mot :

— Oui, oui, vous sauviez ces femmes pour le salut desquelles je donnerais ma vie. Mais vous me réclamez mon honneur… Pour que cela se pût faire, il n’eût pas fallu me le dire… Averti, je deviendrais parjure.

Lucien lui serra chaleureusement la main.

— Je vous sais loyal, Dodekhan… mais je supposais que vous me jugiez de même.

— Sans doute, je…

— Alors, vous devez être certain que ma pensée, n’est pas du tout celle que vous venez d’exprimer. — Comment ?… alors, je ne vois pas…

— Parce que vous êtes impatient comme une jolie femme. L’avis vous sera envoyé sans retard…

— Et je devrai parler…

— Et vous ne parlerez pas.

— Pourquoi ?

Ici, le duc se prit à rire avec un tel abandon, que son hilarité gagna les prisonniers qui l’écoutaient.

— Vous êtes trop curieux, cher ami, finit-il par dire. Tout à l’heure, vous m’accusez froidement de vous exciter au parjure, vous me donnez une petite leçon de diplomatie…

Et imitant le jeune homme en répétant la phrase prononcée un instant plus tôt :

— Pour que cela se pût faire, il n’eût pas fallu me le dire…

— Bravo ! s’écria Sara, ravie de la tournure de l’entretien, et surtout de se sentir prête à admirer son mari.

Elle le trouvait superbe, avec son courage tranquille. Qu’eût-elle ressenti si elle avait su qu’à cette heure, le sourire du duc cachait une douleur aiguë, si elle avait pu soupçonner que, pour la sauver, son bien-aimé faisait le sacrifice de sa vie, de ses espoirs, de son âme même !