Page:Ivoi - Le Message du Mikado.djvu/149

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De nouveau, ils gardèrent le silence, pris d’un trouble qu’ils ne s’expliquaient pas.

Mistress Honeymoon prononça enfin d’une voix indistincte :

— Je veux vous expliquer…

Il eut un geste d’énergique dénégation.

— Inutile.

— Si, si, insista-t-elle. J’y tiens absolument. Vous ne me refuserez pas de vous accorder une marque de confiance. Cela aussi me plaît.

— Oh ! à moi aussi en ce cas.

— Bien. Alors, prêtez-moi votre attention.

Pourquoi l’organe cristallin de la mignonne lady accusait-il un tremblement léger, comme si les battements précipités de son cœur se fussent répercutés sur ses cordes vocales ? Mystère des trémolos ! Le certain est que son accent n’était rien moins qu’assuré. Elle poursuivit :

— Je me trouvai orpheline et dénuée de toute ressource, à dix-huit ans, avec une de ces solides instructions qui mènent à tout dans le monde, mais sont absolument inutiles dans la lutte pour gagner sa vie. Le désespoir planait sur moi, et je ne sais ce qui serait advenu de mon personnage, si le commodore Honeymoon ne s’était rencontré sur mon chemin.

— Le commodore, votre mari ? balbutia le jeune homme soudainement ému.

Elle inclina la tête :

— Oui. Un brave officier de marine, chargé de soixante ans et de pareil nombre de mille livres de rentes. Il vint à moi et me dit : « Mon enfant vous êtes pauvre, seule au monde. Je ne puis vous ouvrir ma maison que comme à mon épouse. Soyez ma femme. Vous aurez en moi un père. Ainsi je pourrai vous laisser ma fortune quand la mort me conviera au grand voyage. J’espère ne pas vous faire attendre trop longtemps. »

— Brave homme ! prononça Pierre, sans avoir conscience de parler à haute voix.

— Oui, un brave homme, répéta la charmante femme d’un ton pénétré. Il fut pour moi le père le plus tendre, et deux ans après, il décédait de la fièvre