Page:Ivoi - Le Message du Mikado.djvu/311

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Une bouffée de mauvaise humeur passant sur son esprit au souvenir de la gamine qui l’avait joué, lui, l’un des meilleurs attachés au service des Renseignements, il se soulagea par cette appréciation :

— Cette moucheronne-là a le diable au corps !

Beyrouth, centre commercial important, contient des succursales de nombreuses maisons européennes. Les deux fausses ladies trouvèrent donc facilement un magasin de confections encore ouvert, où, pour un prix exorbitant, ils firent emplette de complets, chapeaux, linge et valises.

Dire que les vêtements se conformaient à la dernière mode de Paris serait aventuré, mais tels quels, ils assuraient à leurs possesseurs des mouvements beaucoup plus libres que les ajustements féminins dont ils étaient affublés précédemment.

Pierre notamment ne se sentait pas de joie à l’idée de reprendre son apparence réelle.

Ce fut donc avec une bonne humeur véritable qu’ils retournèrent à l’Ismaïl, où un dîner, médiocre mais abondant, assaisonné au reste par l’appétit de cavaliers qui ont passé tout le jour en selle, acheva de dissiper les derniers nuages amoncelés sur leurs fronts par la poursuite anxieuse de l’insaisissable Emmie.

Toutefois, l’appétit satisfait, les dîneurs sentirent la fatigue. Ils pensèrent qu’ils devaient se lever tôt pour courir au premier train sur Alep.

La raison leur conseillait donc de ne pas tarder à se coucher.

Tous deux en convinrent sans difficulté, et s’étant souhaité le bonsoir, ils s’enfermèrent chacun chez soi dans les chambres réservées à leur intention au premier étage de l’Ismaïl-Hôtel.

Mais souvent le cerveau propose et le cœur dispose.

Pierre eut l’Imprudence de s’asseoir dans un fauteuil. Content de n’avoir plus un compagnon agité troublant sa pensée, il se prit à rêver aux frisons blonds de la sémillante petite Anglaise, devenue pour lui la seule femme de l’univers digne d’attention.

Il perdit la conscience du temps. Dix heures, onze heures sonnèrent, sans que les carillons municipaux impressionnassent son tympan.

Il fallut des cris, des chocs bruyants d’objets lourds