Page:Ivoi - Le Radium qui tue.djvu/288

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que le père de Fleuriane l’entendit seul, je regrette maintenant de n’avoir pas attendu à Port-Clarence.

— Craignez-vous donc quelque chose ? Remarquez-vous quelques indices alarmants ?

— Oui et non. Tenez, voici ce qui me fait peur : constatez que les rides striant la surface glacée affectent de plus en plus à la crête la forme d’angles aigus.

— Eh bien ? Que concluez-vous de cela ?

— Je conclus que, pour arriver à cette forme, le champ de glace subit à peu de chose près le maximum de pression qu’il est capable de supporter. En d’autres termes, il est à la limite de son pouvoir de résistance.

— Mais alors retournons en arrière. Qu’importent quelques jours perdus !

Du geste, Dick Fann désigna, en avant, une série de falaises glacées qui se dressaient à deux cents pieds au-dessus de la surface de l’icefield.

— La première des îles Diomèdes, fit-il. Nous en sommes bien plus près que de la terre ferme. Au besoin, nous y camperons. Nos bagages contiennent des tentes de feutre, des provisions abondantes ; donc…

— Arrivons-y le plus rapidement possible, conclut M. Defrance, car je vous le déclare, après ce que vous venez de me dire, je ne vivrai pas jusqu’à ce que je foule un sol ferme, avec la certitude qu’il ne se disloquera pas sous mes pieds.

Les deux hommes eurent un regard à l’adresse de Fleuriane qui, inconsciente du danger signalé par le détective, causait avec le petit Jean Brot, assis à côté d’elle.

Et ils échangèrent un sourire très doux, chacun devinant chez l’autre la même tendresse dévouée pour la jeune fille. Le père, le fiancé avaient mêlé leurs âmes dans une unique affection.

Cependant l’île grandissait à vue d’œil.

En approchant, son aspect se faisait plus sauvage, plus abrupt.

Ce rocher désert, sans végétation, sans eau, se montrait comme recouvert d’une carapace de glace.

Sous la poussée intense subie par la surface solidifiée en cette partie resserrée du détroit de Behring, les glaces s’étaient élevées le long des falaises granitiques. La neige, les vents froids soufflant du pôle, les avaient cimentées en un iceberg géant, au centre duquel se cachait l’ossature de l’île désolée, émergeant au milieu de la passe.