Page:Ivoi - Le Serment de Daalia.djvu/101

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Et Lisbeth émue, troublée, murmurait :

Renoncule, remords… Je vous accorde l’asphodèle de pardon.

Les Français exercent sur les cerveaux germains une influence extraordinaire, résultat d’une intelligence, d’une civilisation bien supérieures.

Les hommes d’Allemagne affectent de dénigrer l’esprit gaulois dont ils ont peur.

Le beau sexe, lui, envie la femme française, qui a ce bonheur paradisiaque de vivre au milieu de Français courtois, galants, madrigaleurs et gais.

Lisbeth n’échappait pas à cet état d’âme.

On juge de sa joie. Les propos du domestique ami caressaient délicieusement son entendement, et, à cette heure, les projets de son père, son hymen futur avec Niclauss, étaient bien loin de la pensée de la blonde et grassouillette enfant.

Aux phrases de Morlaix, elle ripostait par un chapelet de fleurs, exprimant la satisfaction de son être, et le perfide Je-M’en-Fiche, dont le but réel était de capter la confiance de la jeune fille, afin d’avoir ainsi des yeux ouverts dans le camp ennemi, riait in petto de l’impression qu’il produisait.

Soudain, un hurlement désespéré de Niclauss fit sursauter tout le monde. Qu’arrivait-il ?

Une servante javanaise venait de présenter un lobalong, poisson de mer, dont la chair savoureuse rappelle à la fois celles de la sole et du turbot. Une sauce blanche l’accompagnait.

— Ah ! enfin, avait murmuré Gavrelotten avec satisfaction, une sauce blanche, c’est velouté à l’estomac, ça, on va pouvoir en manger.

Rana répliqua :

— Oh ! tant que vous voudrez.

Mais avec un empressement souriant, elle ajouta :

— Seulement, un verre de bordeaux doit l’accompagner.

Elle avait saisi un flacon. Sans défiance, Niclauss tendit son verre. Hélas ! malice ou maladresse, Rana versa si brusquement que la moitié du contenu de la bouteille rejaillit dans le plat de poisson, se mêla à la sauce blanche, en une horrible combinaison d’innommable couleur.