Page:Ivoi - Le Serment de Daalia.djvu/11

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Albin, doué d’un bon cœur, offrit aussitôt son logis et sa bourse à Morlaix, mais celui-ci lui répondit dignement :

– Recevoir et ne rien donner n’est pas mon fait. Tu as besoin d’un valet de chambre. J’ai besoin d’une place. Prends-moi. Tu ne pourrais trouver domestique mieux stylé, car tu dois t’en souvenir, dès Condorcet, j’avais du style.

Tout ce que put dire Albin fut inutile. De guerre lasse, il céda, et Morlaix, dit Je-m’en-Fiche, fut promu du grade de camarade de collège à celui de valet de chambre.

Oh ! un valet de chambre spécial, qui, en public, parlait à la troisième personne à son maître, et le tutoyait dans l’intimité.

Excellent garçon, du reste, tout dévoué à son patron ami. Avec cela, au dire d’Albin, fort comme un Turc, adroit comme un singe, souple comme une couleuvre, fidèle comme un caniche, et ne tarissant pas en bons conseils.

Ces derniers ne furent pas suivis, si bien que Gravelotte dépensa les ultimes louis de son héritage.

Alors, il vendit ses meubles, ses tableaux, ses objets d’art.

Le jour même, il avait brocanté tout ce qui lui restait. 

Dans l’appartement vide et nu, le jeune Lorrain ruiné avait tenu ce discours :

– Mon cher Morlaix, j’ai tout juste cent quatre francs vingt-cinq centimes. Dès longtemps j’ai envisagé cet instant. Je me suis promis que, lorsque la vie large me deviendrait impossible, je me ferais sauter. Nous allons donc faire un dîner succulent, enterrement de ma vie de garçon, puis tu m’accompagneras au Bois… Une balle de revolver fera l’affaire… et tu seras libre de rentrer à Paris te chercher une autre situation.

– Un coup de revolver, répondit l’interpellé, c’est une solution. Je m’en fiche.

L’expression favorite de Morlaix, expression d’où lui venait son sobriquet, fit sursauter Albin.

Un peu sèchement, il reprit :

– Je ne te remercie pas de cette oraison funèbre…