Page:Ivoi - Le Serment de Daalia.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lisbeth vantait Morlaix, son professeur de droiture, de probité, de goût. Si à présent elle était moins ridicule, presque jolie, c’était à lui qu’elle le devait.

Morlaix exaltait sa compagne qui, élevée dans les ténèbres des affaires louches, avait de suite deviné la pure lumière du vrai, du noble. Il se défendait d’être l’auteur de sa transformation morale. Non, elle devait tout à sa propre intelligence, à sa faculté exquise d’assimilation. Tout le mérite revenait à sa jolie petite âme trop longtemps endormie. Oui, il l’avait éveillée, cela était vrai, mais cela seulement… En ouvrant les yeux à la clarté, l’âme chrysalide était devenue papillon. Les ailes diaprées, l’envol gracieux lui appartenaient bien. Est-ce qu’il est au pouvoir d’un professeur de transformer l’espèce ? Non, non ; sur la ronce, il ne fait pas éclore la rose, d’un caillou vil il ne fait pas un diamant, d’un quinquet il ne fait pas une étoile.

Devisant, se laissant aller aux extases de l’admiration mutuelle, extases qui seraient ridicules si elles n’étaient divines, si elles n’avaient nom : tendresse, tous deux étaient sortis de la cité ; ils marchaient lentement sur une route bien entretenue, s’allongeant entre d’épais buissons aux floraisons d’or, d’où jaillissaient d’énormes bananiers abritant le chemin sous les panaches de leurs larges feuilles.

Parfois, le mur des broussailles s’interrompait, donnant aux regards une échappée sur la campagne ensoleillée, sur les pentes aux sommets couronnés par des forêts d’où s’élançaient d’innombrables ruisselets bondissants qui, de chute en chute, de cascade en rapide, descendaient vers la mer.

Des insectes aux reflets métalliques passaient avec des bourdonnements graves ou aigus. Puis, tout à coup, l’air s’emplissait de gazouillis, de sifflements, et d’un côté à l’autre de la voie s’élançait une troupe d’oiselets aux couleurs brillantes, jetant sur la rétine l’impression d’un vol de pierres précieuses.

Morlaix et Lisbeth allaient toujours.

Ils avaient oublié leurs compagnons, oublié le pourquoi de leur présence dans l’île Luçon.

Un rêve éveillé les aveuglait. Il leur semblait vivre au début de la création, être le seul homme, la seule femme sur l’immensité de la terre déserte et errer dans les sentiers d’un paradis éblouissant.