Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/109

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— Votre Majesté se rappelle sûrement que ce nom est celui d’un gentilhomme, qui a sacrifié sa fortune et son honneur pour chasser l’usurpateur.

Le roi tressaillit ; il porta les yeux sur le comte. Il détailla son regard dur, ses lèvres minces et cruelles, et d’un ton étrange :

— Je me soutiens, en effet ; c’est M. de Rochegaule qui contraignit sa sœur à épouser un marchand d’or allemand.

— Enrik Bilmsen, ajouta vivement le compagnon du duc.

— Précisément, lequel avait volé des lettres…

— Qui permirent à M. de Metternich d’entraîner son souverain hésitant, et de faire peser la balance en faveur des Alliés.

Ceci fut dit avec une certaine sécheresse.

Le roi ne releva pas la phrase, mais s’adressant à Blacas :

— Eh bien, mon Duc, l’audience a été accordée. J’offre d’ailleurs à M. de Rochegaule, le plus sincèrement du monde, mes souhaits de bon voyage. Je le prie en outre d’assurer M. de Talleyrand de ma satisfaction.

Puis comme un homme qui craint un entretien embarrassant et veut rompre les chiens.

— Et toi, mon Duc, n’as-tu rien à me conter. Je m’ennuie et j’ai grand besoin d’être distrait.

Mais ses auditeurs ne se prêtèrent pas à ce jeu.

— Oh ! moi, Sire, répliqua le favori, je n’ai rien. Mais M. de Rochegaule arrive de Vienne à franc étrier, pour vous apporter les paroles de M. de Talleyrand…

— Les paroles ? Beaucoup de peine pour rien, Talleyrand n’a-t-il pas le loisir d’écrire ?

— Ce n’est point cela, Sire.

— Quoi donc alors ?

— Une mesure de précaution.

Louis fronça le sourcil et avec majesté :

— Que signifie ce mot ? L’ambassadeur de France n’aurait-il plus licence de correspondre librement avec son gouvernement ?

Blacas détourna la tête. Quant à M. de Rochegaule, il ne sourcilla pas. Parvenu à Paris depuis plusieurs semaines, repoussé par le roi, lors de sa première entrevue, il voulait cette fois triompher des dernières résistances du souverain. Sans doute, il avait étudié soigneusement les paroles qu’il prononcerait quand il lui conviendrait de se présenter devant Louis XVIII. Cet instant venu, il allait avec la sécurité d’un homme auquel le terrain est connu.