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CHAPITRE XIII

L’auberge des Trois Cigognes.


L’auberge des Trois Cigognes est située sur la route de Strasbourg, à quinze cents mètres de la bourgade de Mollsheim.

Bien déchue aujourd’hui de sa splendeur, elle était, en 1815, un des pèlerinages des gourmets de la région.

De Strasbourg, de Mulhouse, de Colmar, on s’y rendait par bandes joyeuses durant la belle saison.

Les vins dorés du Rhin, les vins gris de la Moselle, arrosant une chère savoureuse, faisaient monter en fusées vers le ciel les rires et les chansons.

De fait, c’était un véritable paradis.

La maison principale se montrait, coquette et claire, avec son carrelage toujours soigneusement rougi, ses fenêtres à petits carreaux luisants de propreté, ses plafonds à solives passés invariablement au blanc chaque année. Cet asile propret et soigné des alsaciennes beuveries, se continuait par un vaste jardin, presqu’un parc, peuplé de salles de verdures, perdues dans le fouillis contourné des allées plantées à l’anglaise.

Bien plus, certains consommateurs craignent le plein air, où, disent-ils, les feuilles sèches et les araignées pleuvent sur les mets.

Pour ceux-ci, des pavillons, abrités de grands arbres, avaient été construits.

Bref, ainsi qu’on l’affirmait à la ronde, avec le légitime orgueil du terroir, les Trois Cigognes étaient le nec plus ultra des « cabarets », et Frantz Brummen, le propriétaire, la perle des hôteliers.

On prétendait cependant tout bas que, pendant les jours ensoleillés, la clientèle, trop nombreuse sans doute, était négligée quelque peu, et que les « malins », désireux d’extraire l’essence de toute jouissance, fréquentaient l’auberge durant l’hiver, alors que le mouvement moindre permettait à Brummen de les entourer de toute sa sollicitude.